cestre du peintre et que nul citoyen romain ne saurait s'abaisser à
fondre l'airain, à sculpter le marbre, à tracer des figures sur une
muraille.
Il professait l'admiration des moeurs antiques et vantait à toute occasion
les vertus des aïeux:
--Les Curius et les Fabricius, dit-il, cultivaient leurs laitues et
dormaient sous le chaume. Ils ne connaissaient de statue que le Priape
taillé dans un coeur de buis qui, dressant au milieu de leur jardin son
pal vigoureux, menaçait les voleurs d'un supplice ridicule et terrible.
Méla, qui avait beaucoup lu les annales de Rome, objecta l'exemple
d'un vieux patricien.
--Au temps de la république, dit-il, cet illustre Caïus Fabius, d'une
famille issue d'Hercule et d'Évandre, traça de ses mains sur les murs du
temple de Salus des peintures si estimées, que leur perte récente, dans
l'incendie du temple, a été considérée comme un malheur public. Et l'on
rapporte qu'il ne quittait pas la toge pour peindre ses figures, faisant
connaître par là que cette tâche n'était pas indigne d'un citoyen romain.
Il reçut le surnom de Pictor que ses descendants s'honorèrent de porter.
Lucius Cassius répliqua vivement:
--En peignant des victoires dans un temple, Caïus Fabius considérait
ces victoires et non la peinture. Il n'y avait pas alors de peintres à Rome.
Voulant que les grandes actions des aïeux fussent sans cesse présentes
aux yeux des Romains, il donna l'exemple aux artisans. Mais de même
qu'un pontife ou un édile pose la première pierre d'un édifice et ne fait
pas pour cela métier de maçon ou d'architecte, Caïus Fabius fit la
première peinture de Rome sans qu'on puisse le compter au nombre des
ouvriers qui gagnent leur vie à peindre sur des murs.
Apollodore, d'un signe de tête, approuva ce discours et dit en caressant
sa barbe philosophique:
--Les fils d'Iule sont nés pour gouverner le monde. Tout autre soin
serait indigne d'eux.
Et longtemps, d'une bouche arrondie, il vanta les Romains. Il les flattait
parce qu'il les craignait. Mais, au dedans de lui-même, il ne sentait que
mépris pour ces intelligences bornées et sans finesse. Il donna des
louanges à Gallion:
--Tu as orné cette ville de monuments magnifiques. Tu as assuré la
liberté de son Sénat et de son peuple. Tu as établi de bonnes règles pour
le commerce et la navigation, tu rends la justice avec une équité
bienveillante. Ta statue s'élèvera sur le Forum. Le titre te sera décerné
de second fondateur de Corinthe, ou plutôt Corinthe prendra de toi le
nom d'Annaea. Toutes ces choses sont dignes d'un Romain et dignes de
Gallion. Mais ne crois pas que les Grecs estiment plus que de raison les
arts manuels. Si beaucoup parmi eux s'occupent à peindre des vases, à
teindre des étoffes, à modeler des figures, c'est par nécessité. Ulysse
construisit de ses mains son lit et son navire. Toutefois les Grecs
professent qu'il est indigne d'un sage de s'appliquer à des arts futiles et
grossiers. Socrate, en sa jeunesse, exerça le métier de sculpteur et il fit
une image des Kharites qu'on voit encore sur l'acropole d'Athènes. Son
habileté certes n'était pas médiocre et, s'il avait voulu, il aurait su,
comme les artistes les plus renommés, représenter un athlète lançant un
disque ou nouant un bandeau sur son front. Mais il laissa ces ouvrages
pour se consacrer à la recherche de la sagesse, ainsi que l'oracle le lui
avait ordonné. Dès lors, il s'attacha aux jeunes hommes, non pour
mesurer les proportions de leurs corps, mais uniquement pour leur
enseigner ce qui est honnête. A ceux dont la forme était parfaite il
préférait ceux dont l'âme était belle, contrairement à ce que font les
sculpteurs, les peintres et les débauchés. Ceux-là estiment la beauté
extérieure et méprisent la beauté intérieure. Et vous savez que Phidias
grava sur l'orteil de son Jupiter le nom d'un athlète parce qu'il était beau
et sans considérer s'il était chaste.
--C'est pourquoi, conclut Gallion, nous ne donnons pas de louanges aux
sculpteurs alors même que nous en donnons à leurs ouvrages.
--Par Hercule! s'écria Lollius, je ne sais lequel admirer le plus de ce
Faune ou de cette Vénus. La déesse a la fraîcheur de l'eau dont elle est
encore mouillée. Elle est vraiment la volupté des hommes et des dieux,
et ne crains-tu pas, ô Gallion, qu'une nuit un rustre, caché dans tes
jardins, ne lui fasse subir le même outrage qu'un jeune impie infligea,
dit-on, à la Vénus des Cnidiens? Les prêtresses du temple trouvèrent un
matin sur la déesse les vestiges de l'offense, et les voyageurs rapportent
que depuis lors, elle garde sur elle une tache ineffaçable. Il faut admirer
et l'audace de cet homme et la patience de l'Immortelle.
--Le crime ne fut pas impuni, déclara Gallion. Le sacrilège se jeta dans
la mer ou se brisa
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