Souvenirs de la maison des morts | Page 5

Fyodor Dostoyevsky
marqu��e de respect et d'admiration: ?Sans doute, qu'il se repent: on raconte qu'il a beaucoup aim�� les femmes.?
Dosto?evsky parcourt en tous sens ces ames complexes. Le grand int��r��t de son livre, pour les lettr��s curieux de formes nouvelles, c'est qu'ils sentiront les mots leur manquer, quand ils voudront appliquer nos formules usuelles aux diverses faces de ce talent. Au premier abord, ils feront appel �� toutes les r��gles de notre cat��chisme litt��raire, pour y emprisonner ce r��aliste, cet impassible, cet impressionniste; ils continueront, croyant l'avoir saisi, et Prot��e leur ��chappera; son r��alisme farouche d��couvrira une recherche inqui��te de l'id��al, son impassibilit�� laissera deviner une flamme int��rieure; cet art subtil ��puisera des pages pour fixer un trait de physionomie et ramassera en une ligne tout le dessin d'une ame. Il faudra s'avouer vaincu, ��gar�� sur des eaux troubles et profondes, dans un grand courant de vie qui porte vers l'aurore.
Je ne me dissimule point les d��fauts de Dosto?evsky, la lenteur habituelle du trait, le d��sordre et l'obscurit�� de la narration, qui revient sans cesse sur elle-m��me, l'acharnement de myope sur le menu d��tail, et parfois la complaisance maladive pour le d��tail r��pugnant. Plus d'un lecteur en sera rebut��, s'il n'a pas la flexibilit�� d'esprit n��cessaire pour se plier aux proc��d��s du g��nie russe, assez semblables �� ceux du g��nie anglais. �� l'inverse de notre go?t, qui exige des effets rapides, press��s, pas bien profonds par exemple, vos consciencieux ouvriers du Nord, un Thackeray ou un Dosto?evsky, accumulent de longues pages pour pr��parer un effet tardif. Mais aussi quelle intensit�� dans cet effet, quand on a la patience de l'attendre! Comme le boulet est chass�� loin par cette pesante charge de poudre, tass��e grain �� grain! Je crois pouvoir promettre de d��licates ��motions �� ceux qui auront cette patience de lecture, si difficile �� des Fran?ais.
Il y a bien un moyen d'apprivoiser le public; on ne l'emploie que trop. C'est d'��trangler les traductions de et ces oeuvres ��trang��res, de les ?adapter? �� notre go?t. On a impitoyablement ��cart�� plusieurs de ces fantaisies secourables, on a attendu, pour nous offrir les Souvenirs de la maison des morts, une version qui f?t du moins un d��calque fid��le du texte russe. E?t-il ��t�� possible, tout en satisfaisant �� ce premier devoir du traducteur, de donner au r��cit et surtout aux dialogues une allure plus conforme aux habitudes de notre langue? C'est un probl��me ardu que je ne veux pas examiner, n'ayant pas mission de juger ici la traduction de M. Neyroud. Je viens de parler de l'��crivain russe d'apr��s les impressions que m'a laiss��es son oeuvre originale; je n'ose esp��rer que ces impressions soient aussi fortes sur le lecteur qui va les recevoir par interm��diaire.
Mais j'ai hate de laisser la parole �� Dosto?evsky. Quelle que soit la fortune de ses Souvenirs, je ne regretterai pas d'avoir plaid�� pour eux. C'est si rare et si bon de recommander un livre ou l'on est certain que pas une ligne ne peut blesser une ame, que pas un mot ne risque d'��veiller une passion douteuse; un livre que chacun fermera avec une id��e meilleure de l'humanit��, avec un peu moins de s��cheresse pour les mis��res d'autrui, un peu plus de courage contre ses propres mis��res. Voil��, si l'on veut bien y r��fl��chir, un divin myst��re de solidarit��. Une affreuse souffrance fut endur��e, il y a trente ans, par un inconnu, dans une ge?le de Sib��rie, presque �� nos antipodes; conserv��e en secret depuis lors, elle vit, elle sert, elle vient de si loin assainir et fortifier d'autres hommes. C'est la plante aux sucs amers, morte depuis longtemps dans quelque vall��e d'un autre h��misph��re, et dont l'essence recueillie gu��rit les plaies de gens qui ne l'ont jamais vue fleurir. Oui, nulle souffrance ne se perd, toute douleur fructifie, il en reste un ar?me subtil qui se r��pand ind��finiment dans le monde. Je ne donne point cette v��rit�� pour une d��couverte; c'est tout simplement l'admirable doctrine de l'��glise sur le tr��sor des souffrances des saints. Ainsi de bien d'autres inventions qui procurent beaucoup de gloire �� tant de beaux esprits; changez les mots, grattez le vernis de ?psychologie exp��rimentale?, reconnaissez la vieille v��rit�� sous la rouille th��ologique; des philosophes v��tus de bure avaient aper?u tout cela, il y a quelques centaines d'ann��es, en se relevant la nuit dans un clo?tre pour interroger leur conscience.
Enfin, ce n'est pas d'eux qu'il s'agit, mais de ce for?at sib��rien, de ce petit ap?tre la?que au corps ravag��, �� l'ame endolorie, toujours agit�� entre d'atroces visions et de doux r��ves. Je crois le voir encore dans ses acc��s de z��le patriotique, d��blat��rant contre l'abomination de l'Occident et la corruption fran?aise. Comme la plupart des ��crivains ��trangers, il nous jugeait sur les grimaces litt��raires que nous leur montrons quelquefois. On l'e?t bien ��tonn��, si on lui
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