leur destrier.
Je pensais aux exploits sanglants de nos p��res et de nos fr��res et �� ceux qu'accompliront nos fils; �� toutes les grandes tueries humaines faites, les unes au nom de Dieu, les autres, au nom des empereurs et des rois, les autres encore au nom du peuple et les derni��res au nom de l'ordre et de la civilisation.
Et apr��s tous ces assassins illustres ou obscurs, mon couteau sanglant au poing et devant ce ventre ouvert, je me sentais humili��.
--Cependant, me disais-je, ce n'est pas ma faute si je n'ai qu'un ventre �� crever, mes chefs m'ont dit ?tue?, j'ai ob��i et j'ai fait pour le mieux; d'autres! d'autres! qu'on me dise d'en ouvrir d'autres!
Et brandissant le flissa d'o�� coulait la ros��e rouge, ivre de fureur, je me dressai sur mes pieds.
* * *
--Tu as eu tort de lui donner du haschich, murmura une voix de femme, le d��lire travaille sa cervelle.
--Bah! r��pondit une autre, je sais comment le lui ?ter de la t��te.
Et je sentis une odeur de musc me p��n��trer, tandis que quelque chose de doux fr?lait mes l��vres. Et deux mains me caressaient le front et la m��me voix harmonieuse m'appelait:
--Allons, Roumi, reviens �� toi! l��! l��! l��! reviens �� toi...
Et je revins �� moi, mes l��vres appuy��es entre les seins de Meryem.
* * *
Elle s'��carta et se mit �� me regarder en souriant, tandis que Fathma, sa soeur a?n��e, soulevait un des coins de la tente me montrant la plaine mond��e du soleil du matin.
Le soleil! le beau soleil! ses rayons radieux chassaient les vapeurs du sombre cauchemar; ma poitrine se dilata et, inond�� d'une joie immense, je reportai mes yeux ravis sur la jeune fille des Ouled-Nayl.
Mais je la vis se baisser, ramasser mon flissa pr��s du lit de peau de ch��vre et l'examiner avec attention; du bout de son petit pouce teint de henn��, elle en essaya le tranchant et la pointe. Je suivais ses mouvements et de nouveau je sentis les griffes de mon cauchemar me labourer le coeur. La lame ��tait rouge.
--Du sang! m'��criai-je.
--Oui, r��pondit-elle tranquillement, celui qui s'en est servi a oubli�� de l'essuyer.
Elle prit un chiffon de laine, le passa lentement sur la lame qui y laissa une large maculature.
--C'est donc vrai? dis-je effar��, le ventre! le ventre!
Et mes yeux se port��rent sur un tas de d��bris sanglants, gisant �� quelques pas de moi.
--Quoi? demanda-t-elle en suivant la direction de mon regard, ce n'est pas le ventre, c'est la peau et la t��te. Le ventre, nous l'avons donn�� aux chiens.
Je me rappelai alors que Fathma avait fait ��gorger un mouton la veille et que j'avais offert mon flissa pour l'immolation.
* * *
Et apr��s le repas hom��rique, gorg�� de viande et de couscous et saoul�� d'amour, j'avais repos�� ma t��te sur les genoux de Meryem. Elle s'amusait �� me faire tirer des bouff��es de son petit chibouk rouge, bourr�� de haschich et j'��prouvai un plaisir infini �� sentir ma pens��e s'en aller et se perdre avec la fum��e bleuatre, lorsque mes yeux noy��s s'arr��t��rent sur la t��te et la peau de la victime jet��es dans un coin de la tente.
A la lueur du brasier qui s'��teignait lentement, cette peau retourn��e offrait une ��trange ressemblance avec un ventre humain.
Plong�� dans ce demi sommeil o�� s'��bauchent les hallucinations et flottent les spectres, mon cerveau obstru�� par le trop plein de l'estomac avait ��labor�� le r��ve o�� le haschich jette aux profanes ses sanglantes visions.
* * *
Je m'effor?ai de rire de ma terreur, mais le rire se gla?ait sur mes l��vres, au souvenir de ma pens��e toute souill��e de sang. Longtemps, dans la suite, je restai ��pouvant�� de l'��trange fr��n��sie qui s'��tait empar��e de moi et de l'apre volupt�� qui m'avait saisi, �� plonger dans ses entrailles ouvertes, mon couteau d'assassin.
Je cherchai vainement qui avait pu ��voquer cette monstrueuse image, ignorant alors que les milieux d��teignent sur les ��tres et qu'avec l'air qu'on respire, on se sature de vices ou d'imb��cillit��s.
Aussi bien peu font leur destin��e, et l'homme, f��tu de paille, est le jouet de cette brise aux mille caprices, qui s'appelle le hasard.
Sang, musc et haschich,[1] c'est-��-dire guerre, amour et r��ve! dans ces bu��es capiteuses palpite encore, au fond de nos possessions alg��riennes, le coeur d'un peuple que notre civilisation ��touffe et qui s'en va peu �� peu, s'��loignant dans ses vices formidables et ses incomparables grandeurs.
Je veux essayer de le peindre, tel que je l'ai vu et coudoy�� pendant dix ans, r��vant �� ses c?t��s, parlant sa langue, v��tu de son burnous, mangeant �� son plat de bois, montant ses chevaux, aimant ses filles, vivant de sa vie enfin, dans la montagne on dans la plaine, sous le gourbi du kabyle, la tente du b��doin, la maison du hadar et bien souvent sous le ciel ��toil��.
[Note 1: C'est sous ce titre que
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