Sous le burnous | Page 4

Hector France
fait savoir par tous les crieurs des marchés qu'on arrêterait quiconque est porteur d'armes.
--Qu'Allah vide vos selles! Vous savez vous-même que ce n'est une chose ni possible ni juste sur la frontière. Autant nous jeter nus sous la dent du lion.
On l'entra?nait au bordj où il était questionné de nouveau, et si les réponses paraissaient suffisantes, s'il pouvait nommer quelqu'un qui voul?t répondre de lui, si sa tête plaisait, on le renvoyait après quelques jours de silo: au cas contraire, le capitaine appelait Ali-bel-Kassem.
II
Bon type, cet Ali-bel-Kassem. Un grand escogriffe au teint de cuivre, à la barbe d'un noir de jais, semée de quelques poils blancs, et taillée en pointe comme celle de Méphistophélès; maigre, osseux, anguleux, à face patibulaire, en dépit du chapelet à grains d'ivoire qu'il portait constamment au cou. Les spahis le nommaient le grand champêtre, corruption de garde-champêtre, dignité dont on l'avait revêtu dans la smala et qu'il cumulait avec celle de brigadier.
--Ali-bel-Kassem?
Il arrivait sur-le-champ, toujours prêt à l'heure, la lèvre souriante, très propre, beau soldat malgré son dos un peu vo?té par le laisser-aller des longues journées de cheval, bien assis sur son grand étalon noir, à l'oeil intelligent, triste et doux.
Pourquoi la tristesse de cette bête?
Nous nous le demandions en riant.
Mais les drames dont son ma?tre la rendaient témoin semblaient se refléter dans les rayonnements de sa sombre prunelle.
--Ali!
--Présent, mon koptane.
--Voici, faisait simplement le capitaine en lui désignant le prisonnier.
Il l'enveloppait des pieds à la tête d'un regard à la fois paterne et fauve.
--Tourne-toi, disait-il d'un ton plein de bienveillance.
L'autre se tournait.
--Ouvre les mains et lève-les.
L'autre élevait ses mains au-dessus de sa tête.
--Pas d'armes sous le burnous?
--Non, Sidi.
--Jette ton argent par terre.
--Pas d'argent, Sidi.
--Fais bien attention; si tu as de l'argent, tu ne viendras pas te plaindre après qu'on te l'a volé.
--Je n'ai pas un sordi.
Satisfait de l'inspection, il ordonnait au prisonnier de se placer à quelques pas, puis, silencieux, immobile, la bride dans la main gauche, la droite posée sur la cuisse, la tête haute, aisée et dégagée des épaules, suivant les règles de l'ordonnance, il attendait la consigne de son chef.
--Conduis-le à Tebessa, au bureau arabe, disait le capitaine de fa?on à être entendu du prisonnier. Ali inclinait la tête, puis se penchant et bas:
--Marche forcée, mon koptane?
--Marche forcée. Route en trois quarts d'heure.
Trois quarts d'heure! J'ai dit que Tebessa était éloigné du bordj de douze lieues.
Le ?grand champêtre? souriait d'un air fin. Il savait ce que parler veut dire et comprenait la plaisanterie. C'était toujours la même que lui faisait son chef, mais il la go?tait chaque fois avec un nouveau plaisir.
--Trois quarts d'heure! Ah! ha! ha! Bien, mon koptane. Allons, homme, marche devant.
Il se dressait alors sur sa selle, fier, digne, grave, se sentant chargé d'une mission de confiance, plein de respect pour lui-même. On débouchait par la grande porte du bordj, sur le plateau d'où l'on domine la plaine tunisienne, et le prisonnier pouvait voir une fois encore la fumée de son douar se perdre dans les molles vapeurs des lointains bleus.
Parfois, si le douar était proche, il distinguait les blanches silhouettes des femmes anxieuses, guettant son retour.
Le factionnaire, assis par terre, le dos au mur, le sabre entre les jambes, le fusil chargé à portée de la main, les saluait amicalement au passage:
--Essalam ou Alikoum! Que le salut soit sur vous!
--Alek Salam! Sur toi soit le salut! répondaient-ils à l'unisson.
On dévalait. On tournait le bordj à droite; on descendait dans l'embryon de village composé de Fran?ais, Maltais, Italiens, juifs, tous voleurs dont les tentes et les huttes s'échelonnaient au flanc de la colline. Des spahis, accroupis le long des murs de branches et de terre des caouadjis, buvaient leur café lentement, à petites gorgées; d'autres plongeaient de temps en temps leur bras au fond du capuchon de leur burnous et en retiraient un morceau de galette, une poignée de dattes, leur repas du matin, une pincée de tabac pour la cigarette; quelques-uns, allongés sur la natte d'alfa, la tête dans la main, l'oeil somnolent perdu dans le rêve, fredonnaient sur un rythme lent une chanson de guerre et d'amour:
Kradidja, tes sourcils, tes paupières, Tes longs cheveux, Comme le fil des cimeterres Blessent les yeux.
Ils s'interrompaient pour regarder passer le Kroumir, disant comme le factionnaire:
--Le salut soit sur vous!
Deux ou trois, sans bouger de place, tendaient la main pour offrir leur tasse à moitié pleine:
--Bois, homme, la journée sera chaude.
Et Ali-bel-Kassem, paterne, complaisant et souriant, arrêtait son cheval.
--Elle sera chaude, homme, bois.
Et quand le prisonnier rendait la tasse vide, en remerciant, on lui souhaitait bon voyage:
--Que ton jour soit heureux!
--Que ton ventre n'ait jamais faim!
III
Cependant les mercantis, débitants d'absinthe empoisonnée et de vins frelatés, escrocs, banqueroutiers, repris de justice, marchands de tout acabit, debout sur le seuil de leurs huttes, de leurs tentes, de leurs gourbis, gorgés de denrées
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