Sodome et Gomorrhe - Volume 2 | Page 7

Marcel Proust
ne pourrait pas rester coucher �� l'improviste, malgr�� le jour de l'an: ?Mais qu'est-ce qui pourrait m'en emp��cher n'importe quel jour? D'ailleurs, ce jour-l��, on reste en famille et vous ��tes ma famille?, vivant dans une pension et changeant de ?pension? quand les Verdurin d��m��nageaient, les suivant dans leurs vill��giatures, la princesse avait si bien r��alis�� pour Mme Verdurin le vers de Vigny:
Toi seule me parus ce qu'on cherche toujours
que la Pr��sidente du petit cercle, d��sireuse de s'assurer une ?fid��le? jusque dans la mort, lui avait demand�� que celle des deux qui mourrait la derni��re se f?t enterrer �� c?t�� de l'autre. Vis-��-vis des ��trangers--parmi lesquels il faut toujours compter celui �� qui nous mentons le plus parce que c'est celui par qui il nous serait le plus p��nible d'��tre m��pris��: nous-m��me,--la princesse Sherbatoff avait soin de repr��senter ses trois seules amiti��s--avec la grande-duchesse, avec les Verdurin, avec la baronne Putbus--comme les seules, non que des cataclysmes ind��pendant de sa volont�� eussent laiss�� ��merger au milieu de la destruction de tout le reste, mais qu'un libre choix lui avait fait ��lire de pr��f��rence �� toute autre, et auxquelles un certain go?t de solitude et de simplicit�� l'avait fait se borner. ?Je ne vois personne d'autre?, disait-elle en insistant sur le caract��re inflexible de ce qui avait plut?t l'air d'une r��gle qu'on s'impose que d'une n��cessit�� qu'on subit. Elle ajoutait: ?Je ne fr��quente que trois maisons?, comme les auteurs qui, craignant de ne pouvoir aller jusqu'�� la quatri��me, annoncent que leur pi��ce n'aura que trois repr��sentations. Que M. et Mme Verdurin ajoutassent foi ou non �� cette fiction, ils avaient aid�� la princesse �� l'inculquer dans l'esprit des fid��les. Et ceux-ci ��taient persuad��s �� la fois que la princesse, entre des milliers de relations qui s'offraient �� elle, avait choisi les seuls Verdurin, et que les Verdurin, sollicit��s en vain par toute la haute aristocratie, n'avaient consenti �� faire qu'une exception, en faveur de la princesse.
A leurs yeux, la princesse, trop sup��rieure �� son milieu d'origine pour ne pas s'y ennuyer, entre tant de gens qu'elle e?t pu fr��quenter ne trouvait agr��ables que les seuls Verdurin, et r��ciproquement ceux-ci, sourds aux avances de toute l'aristocratie qui s'offrait �� eux, n'avaient consenti �� faire qu'une seule exception, en faveur d'une grande dame plus intelligente que ses pareilles, la princesse Sherbatoff.
La princesse ��tait fort riche; elle avait �� toutes les premi��res une grande baignoire o��, avec l'autorisation de Mme Verdurin, elle emmenait les fid��les et jamais personne d'autre. On se montrait cette personne ��nigmatique et pale, qui avait vieilli sans blanchir, et plut?t en rougissant comme certains fruits durables et ratatin��s des haies. On admirait �� la fois sa puissance et son humilit��, car, ayant toujours avec elle un acad��micien, Brichot, un c��l��bre savant, Cottard, le premier pianiste du temps, plus tard M. de Charlus, elle s'effor?ait pourtant de retenir expr��s la baignoire la plus obscure, restait au fond, ne s'occupait en rien de la salle, vivait exclusivement pour le petit groupe, qui, un peu avant la fin de la repr��sentation, se retirait en suivant cette souveraine ��trange et non d��pourvue d'une beaut�� timide, fascinante et us��e. Or, si Mme Sherbatoff ne regardait pas la salle, restait dans l'ombre, c'��tait pour tacher d'oublier qu'il existait un monde vivant qu'elle d��sirait passionn��ment et ne pouvait pas conna?tre; la ?coterie? dans une ?baignoire? ��tait pour elle ce qu'est pour certains animaux l'immobilit�� quasi cadav��rique en pr��sence du danger. N��anmoins, le go?t de nouveaut�� et de curiosit�� qui travaille les gens du monde faisait qu'ils pr��taient peut-��tre plus d'attention �� cette myst��rieuse inconnue qu'aux c��l��brit��s des premi��res loges, chez qui chacun venait en visite. On s'imaginait qu'elle ��tait autrement que les personnes qu'on connaissait; qu'une merveilleuse intelligence, jointe �� une bont�� divinatrice, retenaient autour d'elle ce petit milieu de gens ��minents. La princesse ��tait forc��e, si on lui parlait de quelqu'un ou si on lui pr��sentait quelqu'un, de feindre une grande froideur pour maintenir la fiction de son horreur du monde. N��anmoins, avec l'appui de Cottard ou de Mme Verdurin, quelques nouveaux r��ussissaient �� la conna?tre, et son ivresse d'en conna?tre un ��tait telle qu'elle en oubliait la fable de l'isolement voulu et se d��pensait follement pour le nouveau venu. S'il ��tait fort m��diocre, chacun s'��tonnait. ?Quelle chose singuli��re que la princesse, qui ne veut conna?tre personne, aille faire une exception pour cet ��tre si peu caract��ristique.? Mais ces f��condantes connaissances ��taient rares, et la princesse vivait ��troitement confin��e au milieu des fid��les.
Cottard disait beaucoup plus souvent: ?Je le verrai mercredi chez les Verdurin?, que: ?Je le verrai mardi �� l'Acad��mie.? Il parlait aussi des mercredis comme d'une occupation aussi importante et aussi in��luctable. D'ailleurs Cottard ��tait de ces gens peu recherch��s qui se font un devoir aussi imp��rieux de se rendre �� une invitation que
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