dans la nuit et dans l'horreur sublime Du chaos sombre et dans le néant de l'ab?me, Et contre la mort même elle trouve un abri Dans sa propre vertu.
XANTIPPE, entrant et appelant Socrate d'une voix forte.
Socrate! mon mari!
Criant plus fort.
Socrate!
à part.
Autant vaudrait appeler une souche!
S'avan?ant sur le devant de la scène, et parlant au public.
Citoyens, voilà comme il est. Rien ne le touche. Une fois, on l'a vu demeurer, d'un soleil Jusqu'à l'autre, à la pierre immobile pareil, Absorbé dans son rêve, et sans changer de pose Pour la nuit noire ou pour l'aurore au voile rose. Moi, dans ces moments-là, j'étouffe. Il y parait. Ce songeur, ce dormeur éveillé, qui croirait Que c'est un homme jeune, et que sa femme est jeune? Il ne sait même pas s'il s'enivre ou s'il je?ne. Socrate a quarante ans, à peine. Il est subtil En effet, j'en conviens; mais que deviendra-t-il, Ce fou, dont le regard voltige dans la nue, Quand il aura neigé sur sa tête chenue? Il n'entend rien. Je vais, je viens, je ris, je cours, Je parle; il se soucie autant de mes discours Que du murmure d'une abeille sur l'Hymette. Mais patience; puisqu'il veut que je m'y mette, Je m'en vais lui parler d'une telle fa?on Que de ma voix sans doute il entendra le son.
Criant. à Socrate,
Socrate! Vagabond! Tra?tre! Cruel! Bigame! Sycophante! Voleur!
SOCRATE, s'éveillant de son rêve. Très doucement.
Ce n'est rien, c'est ma femme.
XANTIPPE.
Par Hécate! J'en sais de belles!
SOCRATE.
Ah! vraiment?
XANTIPPE.
Alcibiade, pris d'un sage mouvement, T'offre un présent d'argent et d'or. Tu le renvoies.
SOCRATE.
C'est dans notre vertu qu'il faut trouver des joies.
XANTIPPE.
Charmide envoie ici des esclaves, afin Qu'ils travaillent pour nous; mais toi, le trait est fin, Tu les chasses d'ici, car toujours tu me braves.
SOCRATE.
Pas du tout. Qu'avions-nous besoin de ces esclaves?
XANTIPPE.
Le gain de leur labeur e?t accru notre bien.
SOCRATE.
Il est riche, celui qui n'a besoin de rien.
XANTIPPE.
Et que mangerons-nous? Du vent? De la fumée? Toi, l'on te voit, selon ta vie accoutumée, Enseignant aux passants l'art subtil de savoir Prouver que, si le noir est blanc, le blanc est noir. Encor, s'ils te payaient les mots avec largesse, Et si tu leur vendais trois drachmes la sagesse! Mais non, tu n'es pas fier, tu professes debout, Et tu vends ton savoir ce qu'il vaut: rien du tout! Tu ne veux même pas que l'on t'appelle: Ma?tre.
SOCRATE.
Que celui-là se nomme ainsi, qui le croit être.
XANTIPPE.
Le beau métier! Retourne aux le?ons d'où tu viens, Pérore. Garde un bras en l'air, les citoyens. Qu'on pousse vers le Pnyx avec la corde rouge. Vas-y donc. J'aime à voir une roche qui bouge. Va-t'en donc enseigner que, pétri de limon, L'homme dans son esprit, cache un subtil démon Qui du bien et du mal devine le principe. Vas-y! Pourquoi n'y vas-tu pas?
SOCRATE, sortant. Avec une extrême douceur.
J'y vais, Xantippe.
SCèNE II
XANTIPPE.
J'enrage. Le voilà parti, calme, et d'un pas Toujours égal et s?r. Non, je ne connais pas De misères qui soient plus tristes que les miennes!
S'adressant au public.
Comprenez-vous cela, femmes athéniennes? Un mari détaché de tout, que rien ne peut Irriter, puisque nulle injure ne l'émeut! Ah! parmi vous, tra?nant ma rage inassouvie, Mes soeurs, il n'en est pas une que je n'envie. Vos maris sont prudents; ils vous donnent, dit-on, Sur le dos et les reins de bons coups de baton. Si vous les trompez, ils vous battent. C'est la mode. Mais, après, quel plaisir quand on se raccommode, Et comme il semble doux à vos coeurs apaisés, Lorsque les coups ont plu, qu'il pleuve des baisers! Mais seule parmi vous, je n'aurai nul salaire, Hélas! puisque mon ours n'est jamais en colère. J'ai beau crier, hurler; quand j'exhale mon fiel, Il dit: ?Bon. Ce n'est rien, c'est un orage au ciel, Cela passera.? Mais je n'ai pas l'ame ingrate. J'en ferai tant, tant, tant, qu'il faudra que Socrate S'émeuve aussi, dussé-je enfin prendre un tison, Et mettre un jour le feu, moi-même, à la maison! Qu'on puisse voir alors, sous le mur qui flamboie, Rugir mon philosophe, et moi crever de joie!
_Apercevant Socrate qui s'avance, entouré d'amis, de femmes et de citoyens._
On vient. C'est lui, tra?nant à ses talons des tas De gens, de tous les bourgs et de tous les états. Troupeau de fous! Pour mieux leur montrer ma science. Je les laisse d'abord entrer sans défiance; Puis je leur ferai voir ce que les Dieux ont mis De colère dans ma poitrine!
SCèNE III
SOCRATE, DRACèS, ANTISTHèNES, PRAXIAS, EUPOLIS, MéLITTA, BACCHIS, Citoyens et Femmes d'Athènes
SOCRATE, entrant, au milieu d'une foule attentive et respectueuse.
Chers amis, Entrez. C'est bien le moins qu'ici je vous re?oive.
Montrant la table, où un esclave dispose des amphores et des coupes.
Voici du vin vieux; si quelqu'un a soif, qu'il boive, Et si quelqu'un de vous a soif de vérité, Qu'il écoute. Je parle avec sincérité.
DRACèS.
Oui, parle-nous,
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