Simon | Page 9

George Sand
recueille la
digitale, cette belle plante sauvage que la mode des anévrismes a mise
en faveur, et qui élève dans les lieux les plus arides ses hautes
pyramides de cloches purpurines, tigrées de noir et de blanc. Là aussi le
buis sauvage et le houx aux feuilles d'émeraude tapissent les gorges où
serpente la Creuse. La Creuse est une des plus charmantes rivières de
France; c'est un torrent profond et rapide, mais silencieux et calme dans
sa course, encaissé, limpide, toujours couronné de verdure, et baisant le
pied de ces monti ameni qu'eût aimés Métastase.
Somme toute, le pays est pauvre; les gros propriétaires y mènent plus
joyeuse vie que dans les provinces plus fertiles, comme il arrive
toujours. Nulle part la bonne chère ne compte des dévots plus fervents.
Mais le paysan économe, laborieux et frugal, habitué à la rudesse de
son sort, et dédaignant de l'adoucir par de folles dépenses, vit de
châtaignes et de sarrasin; il aime l'argent plus que le bien-être; la
chicane est son élément, le commerce tant soit peu frauduleux est son
art et son théâtre. Un marchand forain marchois est pour les provinces
voisines un personnage aussi redoutable que nécessaire; il a le talent

incroyable de tromper toujours et de ne jamais perdre son crédit. J'en ai
connu plus d'un qui aurait donné des leçons de diplomatie au prince de
Talleyrand. Le cultivateur du Berry est destiné, de père en fils, à être sa
proie, à le maudire, à l'enrichir et à le donner au diable, qui le lui
renvoie chaque année plus rusé, plus prodigue de belles paroles, plus
irrésistible et plus fripon.
Simon Féline était une de ces natures supérieures par leur habileté et
leur puissance, qui peuvent faire beaucoup de mal ou beaucoup de bien,
suivant la direction qui leur est imprimée. Dès le principe, son
éducation éteignit en lui l'instinct marchois de maquignonnage, et
développa d'abord le sentiment religieux. A l'âge de puberté,
l'éducation philosophique vint mêler la logique à la pensée, la réflexion
à l'enthousiasme; puis, la passion sillonna son âme de ces grands éclairs
qui peu à peu devaient la révéler à elle-même. Mais au milieu de ces
ouragans elle conserva toujours un caractère de mysticisme, et l'amour
de la contemplation domina l'esprit d'examen. A côté de sa soif d'avenir
et de ses appétits de puissance, Simon conservait dans la solitude un
sentiment d'extase religieuse. Il s'y plongeait pour guérir les blessures
qu'il avait reçues dans un choc imaginaire avec la société; et parfois, au
lieu du rôle actif qu'il avait entrevu, il se surprenait à caresser je ne sais
quel rêve de perfection chrétienne et philosophique, quasi militante,
quasi monacale.
Il passait souvent, comme je l'ai déjà dit, des journées entières au fond
des bois, sans épuiser la vigueur de cette imagination qu'il n'osait
montrer au logis. Le jour de sa rencontre avec mademoiselle Parquet, il
fit une assez longue course pour n'être de retour que vers le soir. Avant
de regagner sa chaumière, Simon voulut voir coucher le soleil au même
lieu d'où il avait contemplé son lever. C'était le sommet de la dernière
colline qui encadrait le vallon, et sur lequel s'élevaient les ruines du
petit fort destiné jadis à répondre aux batteries du château et à garder
l'entrée du vallon. De cette colline on jouissait d'une vue magnifique;
on plongeait d'une part dans le vallon de Fougères, et de l'autre on
embrassait la vaste et profonde arène où serpente la Creuse. Simon
aimait de prédilection cette ruine qu'habitaient de grands lézards verts
et des orfraies au plumage flamboyant. La seule tour qui restait debout

en entier avait été aussi un but de promenade quotidienne pour l'abbé
Féline. Simon avait à peine connu ce digne homme; mais il en
conservait un vague souvenir, exalté par l'enthousiasme de sa mère et
par la vénération des habitants. Il ne passait pas un jour sans aller saluer
ces décombres sur lesquels son oncle s'était tant de fois assis dans le
silence de la méditation, et dont plusieurs pierres portaient encore les
initiales de son nom, creusées avec un couteau. L'abbé avait donné à
cette tour le nom de tour de la Duchesse, parce qu'un de ces grands
oiseaux de nuit, remarquables par leur voix effrayante, et assez rares en
tous pays, en avait fait longtemps sa demeure; ce nom s'était conservé
dans, les environs, et les amis superstitieux du bon curé prétendaient
que, la nuit anniversaire de ses funérailles, la duchesse revenait encore
se percher sur le sommet de la tour et jeter de longs cris de détresse
jusqu'au premier coup de l'Angelus du matin.
Assis sur le seuil de la tour, Simon regardait l'astre magnifique
s'abaisser lentement sur les collines de Glenny, lorsqu'il entendit une
voix inconnue parler à deux pas de lui une langue étrangère, et en
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 71
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.