plein d'habits et d'une giberne pleine de cartouches. Ils me faisaient de vieilles histoires d'égypte, d'Italie et de Russie, qui m'en apprenaient plus sur la guerre que l'ordonnance de 1789, les règlements de service et les interminables instructions, à commencer par celle du grand Frédéric à ses généraux. Je trouvais, au contraire, quelque chose de fastidieux dans la fatuité confiante, désoeuvrée et ignorante des jeunes officiers de cette époque, fumeurs et joueurs éternels, attentifs seulement à la rigueur de leur tenue, savants sur la coupe de leur habit, orateurs de café et de billard. Leur conversation n'avait rien de plus caractérisé que celle de tous les jeunes gens ordinaires du grand monde; seulement les banalités y étaient un peu plus grossières. Pour tirer quelque parti de ce qui m'entourait, je ne perdais nulle occasion d'écouter; et le plus habituellement j'attendais les heures de promenades régulières, où les anciens officiers aiment à se communiquer leurs souvenirs. Ils n'étaient pas fachés, de leur c?té, d'écrire dans ma mémoire les histoires particulières de leur vie, et, trouvant en moi une patience égale à la leur et un silence aussi sérieux, ils se montrèrent toujours prêts à s'ouvrir à moi. Nous marchions souvent le soir dans les champs, ou dans les bois qui environnaient les garnisons, ou sur le bord de la mer, et la vue générale de la nature ou le moindre accident de terrain leur donnait des souvenirs inépuisables: c'était une bataille navale, une retraite célèbre, une embuscade fatale, un combat d'infanterie, un siège, et partout des regrets d'un temps de dangers, du respect pour la mémoire de tel grand général, une reconnaissance na?ve pour tel nom obscur qu'ils croyaient illustre; et, au milieu de tout cela, une touchante simplicité de coeur qui remplissait le mien d'une sorte de vénération pour ce male caractère, forgé dans de continuelles adversités et dans les doutes d'une position fausse et mauvaise.
J'ai le don, souvent douloureux, d'une mémoire que le temps n'altère jamais; ma vie entière, avec toutes ses journées, m'est présente comme un tableau ineffa?able. Les traits ne se confondent jamais; les couleurs ne palissent point. Quelques-unes sont noires et ne perdent rien de leur énergie qui m'afflige. Quelques fleurs s'y trouvent aussi, dont les corolles sont aussi fra?ches qu'au jour qui les fit épanouir, surtout lorsqu'une larme involontaire tombe sur elles de mes yeux et leur donne un plus vif éclat.
La conversation la plus inutile de ma vie m'est toujours présente à l'instant où je l'évoque, et j'aurais trop à dire, si je voulais faire des récits qui n'ont pour eux que le mérite d'une vérité na?ve; mais, rempli d'une amicale pitié pour la misère des Armées, je choisirai dans mes souvenirs ceux qui se présentent à moi comme un vêtement assez décent et d'une forme digne d'envelopper une pensée choisie, et de montrer combien de situations contraires aux développements du caractère et de l'intelligence dérivent de la Servitude grossière et des moeurs arriérées des Armées permanentes.
Leur couronne est une couronne d'épines, et parmi ses pointes je ne pense pas qu'il en soit de plus douloureuse que celle de l'obéissance passive. Ce sera la première aussi dont je ferai sentir l'aiguillon. J'en parlerai d'abord, parce qu'elle me fournit le premier exemple des nécessités cruelles de l'Armée, en suivant l'ordre de mes années. Quand je remonte à mes plus lointains souvenirs, je trouve dans mon enfance militaire une anecdote qui m'est présente à la mémoire, et, telle qu'elle me fut racontée, je la redirai, sans chercher, mais sans éviter, dans aucun de mes récits, les traits minutieux de la vie ou du caractère militaire, qui, l'un et l'autre, je ne saurais trop le redire, sont en retard sur l'esprit général et la marche de la Nation, et sont, par conséquent, toujours empreints d'une certaine puérilité.
LAURETTE OU LE CACHET ROUGE
CHAPITRE IV
DE LA RENCONTRE QUE JE FIS UN JOUR SUR LA GRANDE ROUTE
La grande route d'Artois et de Flandre est longue et triste. Elle s'étend en ligne droite, sans arbres, sans fossés, dans des campagnes unies et pleines d'une boue jaune en tout temps. Au mois de mars 1815, je passai sur cette route, et je fis une rencontre que je n'ai point oubliée depuis.
J'étais seul, j'étais à cheval, j'avais un bon manteau blanc, un habit rouge, un casque noir, des pistolets et un grand sabre; il pleuvait à verse depuis quatre jours et quatre nuits de marche, et je me souviens que je chantais Joconde à pleine voix. J'étais si jeune!--La maison du Roi, en 1814, avait été remplie d'enfants et de vieillards; l'Empereur semblait avoir pris et tué les hommes.
Mes camarades étaient en avant, sur la route, à la suite du roi Louis XVIII; je voyais leurs manteaux blancs et leurs habits rouges, tout à l'horizon au nord; les lanciers de Bonaparte, qui surveillaient et
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