Servitude et Grandeur Militaires | Page 3

Alfred de Vigny
gagn��e. Je m'��tends ici presque malgr�� moi, parce que ce fut le premier grand homme dont me fut trac�� ainsi, en famille, le portrait d'apr��s nature, et parce que mon admiration pour lui fut le premier sympt?me de mon inutile amour des armes, la cause premi��re d'une des plus compl��tes d��ceptions de ma vie. Ce portrait est brillant encore, dans ma m��moire, des plus vives couleurs, et le portrait physique autant que l'autre. Son chapeau avanc�� sur un front poudr��, son dos vo?t�� �� cheval, ses grands yeux, sa bouche moqueuse et s��v��re, sa canne d'invalide faite en b��quille, rien ne m'��tait ��tranger; et, au sortir de ces r��cits, je ne vis qu'avec humeur Bonaparte prendre chapeau, tabati��re et gestes pareils; il me parut d'abord plagiaire: et qui sait si, en ce point, ce grand homme ne le fut pas quelque peu? qui saura peser ce qu'il entre du com��dien dans tout homme public toujours en vue? Fr��d��ric II n'��tait-il pas le premier type du grand capitaine tacticien moderne, du roi philosophe et organisateur? C'��taient l�� les premi��res id��es qui s'agitaient dans mon esprit, et j'assistais �� d'autres temps racont��s avec une v��rit�� toute remplie de saines le?ons. J'entends encore mon p��re tout irrit�� des divisions du prince de Soubise et de M. de Clermont; j'entends encore ses grandes indignations contre les intrigues de l'OEil-de-Boeuf, qui faisaient que les g��n��raux fran?ais s'abandonnaient tour �� tour sur le champ de bataille, pr��f��rant la d��faite de l'arm��e au triomphe d'un rival; je l'entends tout ��mu de ses antiques amiti��s pour M. de Chevert et pour M. d'Assas, avec qui il ��tait au camp la nuit de sa mort. Les yeux qui les avaient vus mirent leur image dans les miens, et aussi celle de bien des personnages c��l��bres morts longtemps avant ma naissance. Les r��cits de famille ont cela de bon, qu'ils se gravent plus fortement dans la m��moire que les narrations ��crites; ils sont vivants comme le conteur v��n��r��, et ils allongent notre vie en arri��re, comme l'imagination qui devine peut l'allonger en avant dans l'avenir.
Je ne sais si un jour j'��crirai pour moi-m��me tous les d��tails intimes de ma vie; mais je ne veux parler ici que d'une des pr��occupations de mon ame. Quelquefois, l'esprit tourment�� du pass�� et attendant peu de chose de l'avenir, on c��de trop ais��ment �� la tentation d'amuser quelques d��soeuvr��s des secrets de sa famille et des myst��res de son coeur. Je con?ois que quelques ��crivains se soient plu �� faire p��n��trer tous les regards dans l'int��rieur de leur vie et m��me de leur conscience, l'ouvrant et le laissant surprendre par la lumi��re, tout en d��sordre et comme encombr�� de familiers souvenirs et des fautes les plus ch��ries. Il y a des oeuvres telles parmi les plus beaux livres de notre langue, et qui nous resteront comme ces beaux portraits de lui-m��me que Rapha?l ne cessait de faire. Mais ceux qui se sont repr��sent��s ainsi, soit avec un voile, soit �� visage d��couvert, en ont eu le droit, et je ne pense pas que l'on puisse faire ses confessions �� voix haute, avant d'��tre assez vieux, assez illustre ou assez repentant pour int��resser toute une nation �� ses p��ch��s. Jusque-l�� on ne peut gu��re pr��tendre qu'�� lui ��tre utile par ses id��es ou par ses actions.
Vers la fin de l'Empire, je fus un lyc��en distrait. La guerre ��tait debout dans le lyc��e, le tambour ��touffait �� mes oreilles la voix des ma?tres, et la voix myst��rieuse des livres ne nous parlait qu'un langage froid et p��dantesque. Les logarithmes et les tropes n'��taient �� nos yeux que des degr��s pour monter �� l'��toile de la L��gion d'honneur, la plus belle ��toile des cieux pour des enfants.
Nulle m��ditation ne pouvait encha?ner longtemps des t��tes ��tourdies sans cesse par les canons et les cloches des Te Deum! Lorsqu'un de nos fr��res, sorti depuis quelques mois du coll��ge, reparaissait en uniforme de housard et le bras en ��charpe, nous rougissions de nos livres et nous les jetions �� la t��te des ma?tres. Les ma?tres m��mes ne cessaient de nous lire les bulletins de la Grande Arm��e, et nos cris de _Vive l'Empereur!_ interrompaient Tacite et Platon. Nos pr��cepteurs ressemblaient �� des h��rauts d'armes, nos salles d'��tudes �� des casernes, nos r��cr��ations �� des manoeuvres, et nos examens �� des revues.
Il me prit alors plus que jamais un amour vraiment d��sordonn�� de la gloire des armes; passion d'autant plus malheureuse que c'��tait le temps pr��cis��ment o��, comme je l'ai dit, la France commen?ait �� s'en gu��rir. Mais l'orage grondait encore, et ni mes ��tudes s��v��res, rudes, forc��es et trop pr��coces, ni le bruit du grand monde, o��, pour me distraire de ce penchant, on m'avait jet�� tout adolescent, ne me purent ?ter cette id��e fixe.
Bien souvent j'ai souri de piti��
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