Sainte-Marie-des-Fleurs | Page 3

René Boylesve
le regrettai apr��s; je crus m'��tre compromis �� jamais vis-��-vis d'elle. Elle ne pouvait plus me prendre que pour un homme mal ��lev��. J'en eus une sorte de d��sespoir. Le lendemain, tout me parut triste et navr�� �� Venise. Le temps ��tait gris. Je voulus retourner au Lido; je n'y vis personne et revins. Je passai le reste du jour �� regarder stupidement la manoeuvre des batiments de l'Etat, sur le quai des Esclavons, o�� je savais qu'habitait la jeune fille.
Quand on eut amen�� les couleurs, au coucher du soleil, je poursuivis jusqu'aux jardins qui sont au bout de Venise. Et l�� je vis encore une fois la nuit envelopper la ville. Je ne sais si ce fut �� cause de mon ennui, mais je me sentis soulev�� par un mouvement de tendresse si large et si profond qu'il me sembla que le monde entier ne suffirait pas �� combler l'envie que j'avais de tenir quelque chose dans mes bras et de l'embrasser. Chose curieuse, c'��tait Venise que je voulais ��treindre comme une femme. Elle ��tait belle assur��ment, �� cet instant presque incolore qui pr��c��de celui o�� elle cesse d'��tre ��clatante de jour et celui o�� elle va s'enflammer des lumi��res du soir. Mais ce sont l�� de ces attendrissements qui viennent de l'immense fonds d'inconscience que nous portons en nous. Qu'ils nous rendent donc ridicules! Quelle figure ai-je d? faire l��-bas, �� l'extr��mit�� de ces jardins, en d��sirant �� toutes forces embrasser Venise!
Plusieurs jours se pass��rent sans que je pusse apercevoir celle qui me causait ces troubles. Je ne pensais plus qu'�� elle; il ��tait bien inutile de chercher �� me le dissimuler. Mon unique but ��tait de la revoir. Je commen?ais �� d��sesp��rer.
Je pris une gondole et parcourus Venise au hasard, m'en remettant �� la fatalit��, comme on le fait ordinairement dans des cas analogues.
Le ciel ��tait sombre; de temps en temps il pleuvait; Venise semblait d��serte; au tournant des canaux, le cri du gondolier n'��veillait aucun ��cho. Les vieux palais humides avaient l'air de pleurer par toute la surface de leur d��labrement. De grands pallis, surmont��s de la corne ducale ou d'un ornement en forme de turban, pench��s aux portes closes, au-dessus des marches us��es que l'eau frappait d'un clapotement lugubre, faisaient penser, dans ce demi-jour de r��ve, �� de grands personnages pass��s revenus s'attrister l�� de toute la gloire descendue par ces marches et qui ne les gravira jamais plus. Mais, dans l'��tat o�� je me trouvais, tant de ruine me versait une secr��te volupt��. J'eusse aim�� que tout achevat de s'��crouler sous mes yeux.
Nous longeames les hauts murs du nord de Venise. La lagune s'��tendait �� perte de vue; l'?le de Murano et le cimeti��re ��taient envelopp��s d'une ond��e; vers Mestre apparaissaient des c?tes ind��cises et grises encore, grises comme le ciel, comme l'eau, comme la ville et comme moi-m��me.
--Assez! assez! dis-je; nous rentrons!
La gondole tourna, et s'engagea dans le canal Saint-F��lix, pour regagner le centre de la ville.
Vers quatre heures, nous approchions de la petite place situ��e �� l'entr��e de l'��glise Saint-S��bastien. Mon coeur fit un bond. Je venais de reconna?tre ?ma petite Sainte-Marie-des-Fleurs? avec sa famille, entrant dans l'��glise.
--Arr��tez! criai-je au gondolier. Et je p��n��trai dans l'��glise sans me rendre aucun compte de ce qui allait s'y passer, mais avec une certitude, une confiance parfaite, que quelque chose d'important s'y passerait pour moi.
Je ne sais en v��rit�� quelle contenance je tins dans cette ��glise. Je la connaissais beaucoup; j'y avais fait de longs s��jours. C'est l�� que V��ron��se repose au milieu de quelques-uns de ses meilleurs ouvrages. Outre le trouble de ma surprise, mon d��pit me g��nait. Il ��tait fond�� sur une sorte de pudeur assez pr��somptueuse. En effet, qui m'affirmait que cette jeune fille m'avait seulement vu la regarder avec insistance, dans la gondole; et si elle m'avait vu, ne m'avait-elle pas oubli�� comme on le fait d'un malotru quelconque qui vous a heurt�� dans la rue?
Ces dames firent le tour de l'��glise. Elles s'ext��nuaient �� distinguer, �� la seule lumi��re du Baedeker, les toiles voil��es d'ombre. Leur ardeur et leur volont�� ��taient admirables. J'affectai de me tenir ��loign�� d'elles et d'aller justement �� l'autre bout. On peut ��tre sot �� ce point! Je suis certain que personne ne faisait attention �� moi; ne m'avait seulement vu. J'entrai dans le choeur et m'assis en face du Martyre de saint Marc. Singulier moyen de me dissimuler! Je crois au contraire, mais je n'en avais pas conscience alors, que je voulais absolument ��tre approch�� d'elle, mais par la force des choses, non spontan��ment. J'avais d��j�� eu de ces singuli��res paresses. Et j'allai me placer au fond de ce choeur, comme en une sourici��re o�� forc��ment je serais pris. En effet, je les vis venir. A dix-sept ans, j'avais frissonn��, �� la rencontre d'une femme,
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