Roméo et Juliette | Page 2

William Shakespeare
très adroite vieille de la maison de Juliette, ils passèrent la nuit ensemble dans son jardin.
Cependant, après les fêtes de Paques, une troupe nombreuse de Capelletti rencontra, à peu de distance des portes de Vérone, quelques Montecchi, et les attaqua, animée par Tébaldo, cousin germain de Juliette, qui, voyant que Roméo faisait tous ses efforts pour arrêter le combat, s'attacha à lui, et, le for?ant à se défendre, en re?ut un coup d'épée dans la gorge, dont il tomba mort sur-le-champ. Roméo fut banni, et, peu de temps après, Juliette, près de se voir contrainte d'en épouser un autre, eut recours au frère Lonardo, qui lui donna à avaler une poudre au moyen de laquelle elle devait passer pour morte, et être portée dans la sépulture de sa famille, qui se trouvait placée dans l'église du couvent de Lonardo. Celui-ci devait venir l'en retirer et la faire passer ensuite, déguisée, à Mantoue, où était Roméo, qu'il se chargeait d'instruire de tout.
Les choses se passèrent comme l'avait annoncé Lonardo; mais Roméo ayant appris indirectement la mort de Juliette avant d'avoir re?u la lettre du religieux, partit sur-le-champ pour Vérone avec un seul domestique, et, muni d'un poison violent, se rendit au tombeau, qu'il ouvrit, baigna de larmes le corps de Juliette, avala le poison et mourut. Juliette, réveillée l'instant d'après, voyant Roméo mort et ayant appris du religieux, qui venait d'arriver, ce qui s'était passé, fut saisie d'une douleur si forte que, ?sans pouvoir dire une parole, elle demeura morte sur le sein de son Roméo[1].?
[Note 1: Voyez Istorie di Verona del sig. Girolamo della Corte, etc., t. Ier, p. 589 et suiv. édit. de 1594.]
Cette histoire est racontée comme véritable par Girolamo della Corte; il assure avoir vu plusieurs fois le tombeau de Juliette et de Roméo, qui, s'élevant un peu au-dessus de terre et placé près d'un puits, servait alors de lavoir à la maison des orphelins de Saint-Fran?ois, que l'on batissait en cet endroit. Il rapporte en même temps que le cavalier Gerardo Boldiero, son oncle, qui l'avait mené à ce tombeau, lui avait montré dans un coin du mur, près du couvent des Capucins, l'endroit d'où il avait entendu dire qu'un grand nombre d'années auparavant on avait retiré les restes de Juliette et de Roméo, ainsi que de plusieurs autres. Le capitaine Bréval, dans ses voyages, dit également avoir vu à Vérone, en 1762, un vieux batiment qui était alors une maison d'orphelins, et qui, selon son guide, avait renfermé le tombeau de Roméo et de Juliette; mais il n'existait plus.
Ce n'est probablement pas sur le récit de Girolamo della Corte que Shakspeare a composé sa tragédie; elle fut d'abord représentée, à ce qu'il para?t, en 1595, chez lord Hundsdon, lord chambellan de la reine élisabeth, et imprimée pour la première fois en 1597. Or, l'ouvrage de Girolamo della Corte, qui devait avoir vingt-deux livres, se trouve interrompu au milieu du vingtième livre et à l'année 1560 par la maladie de l'auteur. On voit de plus, dans la préface de l'éditeur, que cette maladie fut longue et amena la mort de l'historien, que la nécessité de revoir le travail auquel Girolamo n'avait pu mettre lui-même la dernière main prit un temps considérable, et enfin que les procès, tant ?civils que criminels,? dont fut tourmenté l'éditeur, ne lui permirent pas de mener à fin son entreprise aussi promptement qu'il l'aurait désiré; en sorte que l'ouvrage de Girolamo ne put être publié que longtemps après sa mort: l'édition de 1594 est donc, selon toute apparence, la première, et ne pouvait guère, en 1595, être déjà venue à la connaissance de Shakspeare.
Mais l'histoire de Roméo et de Juliette, sans doute très-populaire à Vérone, avait déjà fait le sujet d'une nouvelle, composée par Luigi da Porto, et publiée à Venise en 1535, six ans après la mort de l'auteur, sous le titre de la Giulietta. Cette nouvelle, réimprimée, traduite, imitée dans plusieurs langues, fournit à Arthur Brooke le sujet d'un po?me anglais, publié en 1562[2], et où Shakspeare a certainement puisé le sujet de sa tragédie. L'imitation est complète. Juliette, dans le po?me de Brooke ainsi que dans la nouvelle de Luigi da Porto, se tue avec le poignard de Roméo, au lieu de mourir de douleur comme dans l'histoire de Girolamo della Corte; mais ce qu'il y a de singulier, c'est que le po?me d'Arthur Brooke, et Shakspeare qui l'a suivi, fassent mourir Roméo comme dans l'histoire, avant le réveil de Juliette, tandis que, dans la nouvelle de Luigi da Porto, il ne meurt qu'après l'avoir vue se réveiller et avoir eu avec elle une scène de douleur et d'adieux. On a reproché à Shakspeare de ne s'être pas conformé à cette circonstance qui lui fournissait une situation très-pathétique, et on en a conclu qu'il ne connaissait pas la nouvelle
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