Robur-le-Conquerant | Page 6

Jules Verne
rentrait dans les caisses de la Soci��t�� et en particulier dans les poches de Uncle Prudent. D'ailleurs, il ��tait gar?on, il vivait simplement, n'ayant pour tout personnel domestique que son valet Frycollin, qui ne m��ritait gu��re d'��tre au service d'un ma?tre si audacieux. Il y a de ces anomalies.
Que Uncle Prudent e?t des amis, puisqu'il ��tait riche, cela va de soi; mais il avait aussi des ennemis, puisqu'il ��tait pr��sident du club, - entre autres, tous ceux qui enviaient cette situation. Parmi les plus acharn��s, il convient de citer le secr��taire du Weldon-Institute.
C'��tait Phil Evans, tr��s riche aussi, puisqu'il dirigeait la Walton Watch Company, importante usine �� montres, qui fabrique par jour cinq cents mouvements �� la m��canique et livre des produits comparables aux meilleurs de la Suisse. Phil Evans aurait donc pu passer pour un des hommes les plus heureux du monde et m��me des Etats-Unis, n'e?t ��t�� la situation de Uncle Prudent. Comme lui, il ��tait ag�� de quarante-cinq ans, comme lui d'une sant�� �� toute ��preuve, comme lui d'une audace indiscutable, comme lui peu soucieux de troquer les avantages certains du c��libat contre les avantages douteux du mariage. C'��taient deux hommes bien faits pour se comprendre, mais qui ne se comprenaient pas, et tous deux, il faut bien le dire, d'une extr��me violence de caract��re, l'un �� chaud, Uncle Prudent, l'autre �� froid, Phil Evans.
Et �� quoi tenait que Phil Evans n'e?t ��t�� nomm�� pr��sident du club? Les voix s'��taient exactement partag��es entre Uncle Prudent et lui. Vingt fois on avait ��t�� au scrutin, et vingt fois la majorit�� n'avait pu se faire ni pour l'un ni pour l'autre. Situation embarrassante, qui aurait pu durer plus que la vie des deux candidats.
Un des membres du club proposa alors un moyen de d��partager les voix. Ce fut Jem Cip, le tr��sorier du Weldon-Institute. Jem Cip ��tait un v��g��tarien convaincu, autrement dit, un de ces l��gumistes, de ces proscripteurs de toute nourriture animale, de toutes liqueurs ferment��es, moiti�� brahmanes, moiti�� musulmans, un rival des Niewman, des Pitman, des Ward, des Davie, qui ont illustr�� la secte de ces toqu��s inoffensifs.
En cette occurrence, Jem Cip fut soutenu par un autre membre du club, William T. Forbes, directeur d'une grande usine, o�� l'on fabrique de la glucose en traitant les chiffons par l'acide sulfurique - ce qui permet de faire du sucre avec de vieux linges. C'��tait un homme bien pos��, ce William T. Forbes, p��re de deux charmantes vieilles filles, Miss Doroth��e, dite Doll, et Miss Martha, dite Mat, qui donnaient le ton �� la meilleure soci��t�� de Philadelphie.
Il r��sulta donc de la proposition de Jem Cip, appuy��e par William T. Forbes et quelques autres, que l'on d��cida de nommer le pr��sident du club au ? point milieu ?.
En v��rit��, ce mode d'��lection pourrait ��tre appliqu�� en tous les cas o�� il s'agit d'��lire le plus digne, et nombre d'Am��ricains de grand sens songeaient d��j�� �� l'employer pour la nomination du pr��sident de la R��publique des Etats-Unis.
Sur deux tableaux d'une enti��re blancheur, une ligne noire avait ��t�� trac��e. La longueur de chacune de ces ligues ��tait math��matiquement la m��me, car on l'avait d��termin��e avec autant d'exactitude que s'il se f?t agi de la base du premier triangle dans un travail de triangulation. Cela fait, les deux tableaux ��tant expos��s dans le m��me jour au milieu de la salle des s��ances, les deux concurrents s'arm��rent chacun d'une fine aiguille et march��rent simultan��ment vers le tableau qui lui ��tait d��volu. Celui des deux rivaux qui planterait son aiguille le plus pr��s du milieu de la ligue, serait proclam�� pr��sident du Weldon-Institute.
Cela va sans dire, l'op��ration devait se faire d'un coup, sans rep��res, sans tatonnements, rien que par la s?ret�� du regard. Avoir le compas dans l'œil, suivant l'expression populaire, tout ��tait l��.
Uncle Prudent planta son aiguille, en m��me temps que Phil Evans plantait la sienne. Puis, on mesura afin de d��cider lequel des deux concurrents s'��tait le plus approch�� du point milieu.
O prodige! Telle avait ��t�� la pr��cision des op��rateurs que les mesures ne donn��rent pas de diff��rence appr��ciable. Si ce n'��tait pas exactement le milieu math��matique de la ligne, il n'y avait qu'un ��cart insensible entre les deux aiguilles et qui semblait ��tre le m��me pour toutes deux.
De l��, grand embarras de l'assembl��e.
Heureusement, un des membres, Truk Milnor, insista pour que les mesures fussent refaites au moyen d'une r��gle gradu��e par les proc��d��s de la machine microm��trique de M. Perreaux, qui permet de diviser le millim��tre en quinze cents parties. Cette r��gle, donnant des quinze-centi��mes de millim��tre trac��s avec un ��clat de diamant, servit �� reprendre les mesures, et, apr��s avoir lu les divisions au moyen d'un microscope, on obtint les r��sultats suivants :
Uncle Prudent s'��tait approch�� du point milieu �� moins de six quinze-centi��mes de millim��tre, Phil Evans, �� moins
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