Robert Ier et Raoul de Bourgogne, rois de France (923-936) | Page 7

Ph. Lauer
s'abstenir d'entrer à l'église. Les vendredis, toute l'année, et, en outre, pendant le carême et les semaines précédant la Saint-Jean et la No?l, les lundis et mercredis, un je?ne très rigoureux (au pain, à l'eau et au sel) leur fut imposé[56]. Que ces prescriptions sévères n'aient pas été observées à la lettre, surtout par les seigneurs qui, sous prétexte de maladie ou de service d'ost, pouvaient s'en faire dispenser moyennant des aum?nes, cela n'est point douteux; mais il n'en est pas moins vrai que ces mesures prises par le haut clergé du nord, pour fragiles qu'elles nous paraissent, sont curieuses à enregistrer, parce qu'elles décèlent la préoccupation bien nette d'empêcher une nouvelle guerre civile et le désir d'assurer pour l'instant le pouvoir à l'usurpateur Raoul, tout en laissant régner en paix le roi Charles sur ses provinces demeurées fidèles.
Une telle solution était bien difficile a obtenir avec le caractère du Carolingien et la turbulence des grands vassaux, sans cesse prêts à saisir la moindre occasion pour augmenter leur puissance aux dépens de leurs voisins.
L'élection de Raoul était l'oeuvre d'un parti peu nombreux. Les grands vassaux ecclésiastiques de France et même de Bourgogne suivaient à contre-coeur la détermination de leurs suzerains immédiats. La Normandie, la Bretagne et surtout l'Aquitaine restèrent théoriquement soumises à Charles, sans toutefois prendre les armes pour défendre sa cause. En Lorraine, le duc Gilbert se tenait sur la plus grande réserve: seul le comte Boson osa se déclarer pour Raoul, son frère. Quelques-uns des dipl?mes délivrés par Charles sont accordés à Guy de Girone qui se trouvait auprès de lui, en Rémois, au moment le plus critique de la guerre civile[57]. Ainsi la Marche d'Espagne restait fermement attachée au descendant de Charlemagne[58].
En réalité, sous le dévo?ment apparent des grands vassaux du midi au roi Charles se cachait un profond sentiment d'égo?sme: tout en se donnant les allures de défenseurs de la légitimité dynastique méconnue,--en faveur de laquelle, du reste, ils se gardaient bien d'intervenir effectivement,--ils saisissaient l'occasion favorable pour fortifier et développer leur autonomie naissante. C'était la tactique habituelle des seigneurs méridionaux, dont plusieurs auraient été cependant de force à se mesurer avec un Herbert ou un Raoul. En dépit de leur prétendu loyalisme, ils avaient longtemps refusé de reconna?tre Charles après la mort d'Eudes; ils agirent encore de même, plus tard, vis-à-vis de Louis d'Outre-Mer et de Lothaire, sans souci de la question de légitimité.
Les documents diplomatiques conservés permettent, par leurs dates, de donner un peu de précision à l'époque où Raoul fut reconnu dans les différentes régions de la France.
En Bourgogne, la reconnaissance eut lieu immédiatement. Dès le mois de novembre, l'évêque d'Autun Anselme fait une donation à son église ?pour l'ame du roi Raoul?, et le roi intervient dans l'acte afin de l'approuver et d'en fortifier l'autorité[59]. Il existe bien des lacunes dans la série des chartes de l'abbaye de Cluny qui concernent surtout les comtés de Macon, Chalon et Autun: ce n'est qu'en 924 que commence la série des actes datés de l'an du règne de Raoul. Cette série s'étend de la 2e à la 13e année[60]. Sens, dont l'archevêque Gautier avait couronné Raoul, dut être une des cités les plus favorables au nouveau roi. Il en fut probablement de même pour Dijon et Auxerre, leurs vicomtes étant en relations étroites avec la famille ducale[61].
Beaucoup de Lorrains prêtèrent, comme Boson, l'hommage à Raoul, dans l'automne de l'année 923. On le sait expressément pour Metz et Verdun. Toutefois le duc Gilbert et l'archevêque de Trèves Roger refusèrent de faire leur soumission[62].
L'archevêché de Reims était entièrement tombé sous la domination d'Herbert de Vermandois, qui empêcha Séulf de répondre aux démarches que Charles essaya de faire auprès de lui[63]. La province de Reims, le Vermandois, Amiens, Troyes, les comtés de Brie et de Provins reconnurent donc Raoul; le comte de Laon, Roger, et l'évêque de Soissons, Abbon, l'ancien chancelier de Robert, se rallièrent aussi à lui[64].
Les habitants des vastes domaines du ?marquis? Hugues furent assurément des premiers à accepter le nouveau souverain. A Tours, par exemple, dès le 18 décembre 923, on datait des années du règne de Raoul[65]. Pour Chartres, il existe un acte de la 8e année de Raoul[66]; pour Saint-Beno?t-sur-Loire, des chartes de la 2e et de la 10e année de Raoul[67]; pour Angers une charte privée de la 2e année et une donation du comte Foulques, de la 7e année[68]; pour Blois, nous possédons un dipl?me de Raoul lui-même de l'année 924, délivré à Laon, sur la requête du comte ?palatin? Thibaud[69]; enfin pour Paris une charte du vicomte Thion datée de la 3e année[70].
Les Normands demeurèrent fidèles au Carolingien: nous le savons par l'hostilité qu'ils déployèrent contre Raoul. Mais il ne subsiste aucune charte qui nous le confirme. La Bretagne en pleine anarchie subissait leur influence. Le cartulaire de Redon, si
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