Relation de lIslande | Page 8

Isaac de la Peyrère
j'en pànse. Je croy que les Islandois ne sont pas maintenant si sauvages qu'il ont esté. Mais il est à presumer que des peuples si esloignez des climas tàmperez, ne sont pas des plus polis, ni des plus raisonnables du monde. Je parle pour le commun, dans lequel je ne compràns pas les honnestes gens qui y peuvent estre, & qui y sont sans doute. Car il y a par tout des honnestes gens. Et il n'y a pour cela de la differànce, que du plus au moins.
XV. Blefkenius dit, que les Islandois ont des Esprits familiers. Que ces Esprits les servent comme des valets, & les avertissent la nuit, quand il fait bon le làndemain aler à la chasse, ou à la pesche. Ortelius va plus avant, & nous aprànd, que les Islandois apelent cete sorte de Demons: Drollos. Ce qui a du raport à ce que Troll, en Danois, est un Diable en fran?ois; Et me persuade que ce que l'on apele en France un bon drole, est mesme chose qu'un bon Diable, en Islandois, & en Danois. Blefkenius dit aussi, que les mesmes Islandois vàndent le vànt, & l'asseure, comme l'ayant, à ce qu'il dit, experimànté. De quoy le bon Angrimus se moque plaisamment. Car il dit, que le Matelot Islandois conno?t le soir par la disposition de l'air, quel temps, & quel vànt il fera le làndemain; Et que quand il conjecture qu'il doit faire le vànt que l'Estranger atànd pour partir, il le va trouver, & s'engage de luy vàndre ce vànt. Ce qu'il fait de cete sorte. Il demànde à l'Estranger son mouchoir, dans lequel il fait sàmblant de murmurer quelques paroles; & noüe promptement le mouchoir, comme de peur que les paroles qu'il a prononcées ne s'envolent. Il luy rànd apres cela son mouchoir noüé, & luy recommande de le garder tel qu'il le re?oit avec grand soin: l'asseurant qu'il aura le vànt bon, durant tout son voyage. Or il arrive quelque fois, que ce vànt soufle le làndemain. Mais le plus souvent ce mesme vànt change apres que l'Estranger est party, & qu'il est engagé en pleine mer. Ou s'il est assailly de quelque tàmpeste, comme il arrive bien souvent aussi, l'Estranger se trouve fort ambarassé des Diables qu'il croit porter dans sa poche: Car il n'ose les jeter dans la mer, & fait consciànce de les garder. Que si, dit Angrimus, il est arrivé de cent fois une, que le vànt ait conduit l'Estranger là où il devoit aler; cete seule fois autorise l'erreur contre cent autres experiànces contraires. Et l'erreur se respànd par celuy qui dit hardiment, parce qu'il le croit ainsi, qu'il a acheté le vànt en Islande, & que ce vànt l'a mené à bon port chez luy.
XVI. Quoy que ces sortes de contes ne fassent aucune impression sur des Esprits raisonnables, ils ne laissent pas d'estre divertissans. Et il y a du plaisir d'entàndre ce que l'on en dit, & ce que l'on en croit. Car on ne le diroit pas, si on ne le croyoit. Blefkenius raconte, qu'il y a des Magiciens en Islande, qui ont le pouvoir d'arrester en pléne mer, des vaisseaux qui vont à plénes voiles. Il narre aussi, que ceux qui sont arrestez, se servent pour contrecharme, de certaines sufumigations puantes, dont il fait les descriptions; avec lesqueles, dit-il, ceux qui sont retenus chassent les Demons qui les retiennent; & les vaisseaux desenchantez reprenent leur cours. Si le charme est bien invànté, le contre-charme ne l'est pas moins. Revenons à ce qui est de plus serieux dans l'histoire de l'Islande.
XVII. L'anciéne Islande estoit divisée en quatre Provinces, selon les quatre parties du monde. Chaque Province estoit divisée en trois Bailliages, que les Islandois apelent Repes: excepté la Province Septàntrionale, laquelle comme la plus grande, & la plus importante, en avoit quatre. Et chaque Bailliage estoit subdivisé en six, sept, huit, ou dix Judicatures, selon son estàndüe. Chaque Province assàmbloit ses Bailliages une fois l'année. Et la convocation se faisoit par de petites croix de bois, que le Gouverneur de la Province envoyoit à ses Baillifs, que les Baillifs distribuoient à leurs Juges, & que les Juges faisoient courir par les familles de ceux qui se devoient trouver à ces assàmblées. Le Chef de la Justice de l'Islande, qui presidoit aux quatre Provinces, & qui estoit comme le Souverain de l'Islande, son Nomophylax, & le conservateur de ses loix, assàmbloit aussi en certain temps les Estats generaux de l'Isle. Et la convocation se faisoit par quatre haches de bois, que ce Chef envoyoit aux Gouverneurs des quatre Provinces.
XVII. Il y avoit dans chaque Bailliage trois Tàmples principaux, où la Justice se ràndoit, & où le culte de leurs Dieux se faisoit; à cause de quoy la charge de Baillif s'apeloit Godorp, qui signifie
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