& égo?stes qui ne voient en eux que les instrumens passifs de leur fortune: mais ces mauvaises qualités & ces vices sont, ou relatifs à l'opinion & au préjugé sur leur état, ou occasionnés par la maniere dont on les traite: communs à tous les hommes & dans toutes les sociétés, ces vices s'évanouissent, ou du moins s'affoiblissent considérablement, sous un régime humain & raisonnable, même parmi les esclaves; c'est ce qu'une expérience suivie & attentive à bien démontré.
Les partisans de l'esclavage ne peuvent d'ailleurs faire entrer pour rien dans leurs divers raisonnemens, la cause de l'humanité, ni la justice, ni le droit naturel, imprescriptibles pour tous les hommes, indépendamment de leur couleur & des circonstances plus ou moins favorisées de leur naissance. ?_Il nous faut des Colonies; on ne peut les cultiver sans esclaves; donc il est nécessaire de faire la traite, & d'avoir des_ esclaves_:? Voilà à quoi se réduiront toujours leurs argumens.
D'un autre c?té les personnes qui plaident pour l'abolition de l'esclavage, inspirées par la raison, la justice, la bienfaisance, & tout ce que l'humanité offre de motifs plus purs & plus respectables, peuvent aller trop loin, & prêtent ainsi à la critique de leurs adversaires intéressés, soit par excès de zèle, soit faute de conno?tre suffisamment la localité & la circonstance des Colonies, soit encore faute de respecter la raison politique des états, qu'il est devenu impossible de ne pas ménager, à cause des cris d'un nombre de gens dont la fortune dépend des cultures actuelles de nos Colonies: ils ont prêté encore à la critique des Colons, en n'appercevant pas bien tous les moyens d'opérer la révolution qu'ils désirent. De là, il résulte une majorité immense dans les débats de cette question, en faveur des partisans de l'esclavage, dont l'opinion est accréditée par un long usage, & par une espèce de loi généralement établie dans toutes les Colonies Européennes.
Dans toutes ces discussions, les Colons (qui sont presque tous pour le maintien de l'esclavage) mettent beaucoup de chaleur & d'acharnement à soutenir une cause qui leur semble personnelle; les autres (qui sont un petit nombre de personnes n'ayant pour la plupart aucun intérêt dans les Colonies) montrent le plus grand zèle pour le soulagement de l'humanité souffrante.
Quel que soit l'effet de ces débats, à quelque époque que cet effet soit retardé, il ne peut qu'en résulter un traitement plus humain pour les Noirs: on voit déjà qu'il ne reste plus aucune autre excuse aux possesseurs d'esclaves, qui plaident pour le maintien de l'esclavage, que de citer la manière tempérante & heureuse dont leurs Nègres sont traités, ou de convenir qu'il est à propos d'améliorer leur sort.
De ce choc d'opinions on peut déduire deux vérités incontestables:
La premiere de ces vérités est que l'habitation dont la régie est la plus raisonnée, la moins arbitraire, où les Nègres sont catéchisés, où on cherche à leur donner des moeurs, où ils ont quelques propriétés, & une espece d'existence sociale, est aussi celle qui rapporte des revenus plus constans à son propriétaire, & que moins les Nègres sont malheureux plus leur Ma?tre s'enrichit. Les partisans de l'esclavage en conviennent eux-mêmes.
La seconde vérité, déduite comme l'autre des objections des Colons qui soutiennent l'esclavage, est que les projets d'humanité que l'on manifeste en faveur des Noirs ne peuvent s'exécuter en bonne politique qu'avec du tems & des gradations; qu'un affranchissement illimité & subit, sans exceptions ni conditions, rempliroit mal le but qu'on se propose, & même offriroit des inconvéniens: en effet, on doit convenir que les Nègres nouveaux, ceux non encore accoutumés à notre langue & à nos usages, ne pourroient sans danger pour nos plantations, ni sans un inconvénient pour eux-mêmes, être tous à la fois remis en liberté sans intervalles ni précautions: c'est ainsi que des yeux affoiblis par une longue obscurité ne pourroient revoir subitement la lumière sans en être éblouis; il faut la leur rendre par degrés & avec attention.
Cette difficulté est même si forte qu'elle rendroit la destruction de l'esclavage comme impossible, si on ne commen?oit par faire finir la traite des Noirs, qui vient sans cesse verser des Nègres nouveaux dans nos Colonies; mais il n'est plus possible de se dissimuler, d'après les faits exposés à la connoissance publique sur la traite des Noirs, que ce commerce offre des actes de barbarie si atroces, si continuels & si indispensables à son entretien, que les personnes honnêtes qui desireroient conserver l'esclavage des Noirs dans nos Colonies, en le rectifiant, ne peuvent plus raisonnablement soutenir la continuation de ce commerce d'esclaves.
Connoissant le pour & le contre de cette question, & les Colonies par une assez longue expérience, je crois pouvoir dire avec assurance qu'il est nullement impossible, qu'il est même utile & politique de préparer les voies pour l'abolition de l'esclavage; qu'on peut parvenir à ce but en ménageant
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