des talons qu'il a
à ses chaussures, ce sont des piédestaux,--et il retire son chapeau quand
il passe sous l'arc de l'Étoile... Quelques jours après la publication de
cette anecdote, Adolphe, initié subitement aux lois du bien-vivre,
prenait un coupé et venait, vêtu comme un parfait notaire, déposer sa
carte dans les bureaux du journal qui l'avait publiée.
* * * * *
Un des amis de Lafontaine fit un jour à Adolphe la politesse de lui
apporter le roman de Benjamin Constant:
--Lisez cela, lui dit-il, je crois qu'il est question de vous.
Quelques jours après, l'ami, étant revenu, lui demande ce qu'il pense de
l'ouvrage qu'il lui a donné,--et si c'est réellement lui que l'auteur a voulu
mettre en scène.
--Il y a quelque chose de vrai, répliqua gravement Adolphe;--mais tout
n'est pas absolument exact.--Ce M. Benjamin Constant aurait pu me
demander un rendez-vous: je lui aurais fourni des renseignements.
Cependant, une politesse en vaut une autre,--et quand je saurai son
adresse, j'irai lui porter ma carte.
* * * * *
Lafontaine avait dernièrement à déjeuner chez lui un personnage
officiel qui approche souvent S. M. l'Empereur.--Adolphe, qui est
d'ailleurs un excellent serviteur et un garçon intelligent, s'était
distingué.--Il avait même daigné composer lui-même une certaine
omelette aux rognons dont il possède seul le secret, et qui est un
chef-d'oeuvre culinaire.--Le convive de Lafontaine, félicitant Adolphe
sur son talent, lui disait en riant qu'on n'eût fait mieux, si on eût fait
aussi bien, dans les cuisines impériales.--Depuis ce temps, Adolphe
demeure convaincu qu'il a été question de lui en haut lieu, et s'attend à
recevoir d'un jour à l'autre un message dans lequel il sera convoqué à
travailler sur les fourneaux de Sa Majesté.--Pour ne pas faire attendre
un seul moment,--il passe sa vie en habit noir, en jabot et en gants
blancs.
--Seulement, si pareil honneur m'arrive, disait-il à un de ses camarades,
mon parti est pris,--je tutoierai M. Lafontaine.
* * * * *
L'influence du printemps commence à se faire sentir.--On se marie
beaucoup à Paris depuis quelque temps.--Il est impossible d'entrer dans
un restaurant sans tomber au milieu d'un repas nuptial.--Les voitures
publiques deviennent insuffisantes, et, dans certains quartiers populeux,
on a été obligé de mettre en réquisition les tapissières pour le transport
des époux et de leurs familles.--M. Foy et tous ses confrères les
gaudissarts de l'hymen, qui servent de trait-d'union entre les âmes qui
se cherchent, ont fait poser une sonnette de nuit à la porte de leurs
cabinets d'affaires.
Les mairies sont assiégées du matin au soir, et se trouvent dans
l'obligation de prendre des employés supplémentaires. On en cite une,
dans un arrondissement central, où un registre de l'état civil ne dure pas
plus longtemps qu'une galette du Gymnase. De même que les médecins,
pendant une épidémie, les officiers publics sont sur les dents. Tous les
tabellions parisiens sont occupés à rédiger ces testaments anticipés de
l'amour, qu'on appelle des contrats de mariage.--Une véritable fureur de
légalité règne dans les relations entre les deux sexes, et, si cela continue,
l'herbe poussera bientôt dans la cour de la mairie du 13e
arrondissement.
Si la morale y gagne, la fantaisie y perd beaucoup. Cette
matrimoniomanie s'est tellement répandue, qu'après avoir causé
pendant une demi-heure avec une femme qu'on n'a jamais vue, si elle
est fille ou veuve,--on n'est pas sûr de ne point l'épouser à la fin de la
journée. Dernièrement, un de nos amis, qui se promenait aux Tuileries,
s'aperçut qu'une jeune personne, cheminant devant lui dans la
compagnie d'une dame âgée, venait de laisser tomber son gant derrière
eux. Notre ami s'empresse de le ramasser et le remet galamment à la
jeune personne, qui lui répond, en s'inclinant et en rougissant:
--Monsieur, votre démarche m'honore, et dès l'instant que vos
intentions sont pures, je vous autorise à demander ma main à ma mère.
Huit jours après, on publiait les bans.
L'autre soir, un monsieur, en compagnie d'une dame, entrait dans l'un
des cabinets de la Maison d'Or. Ils y étaient à peine installés que nous
entendîmes un des garçon crier à son confrère:
--On demande une écrevisse bordelaise et un notaire au numéro 8.
--Le notaire est en main au 6, et retenu par le 2, répondit le garçon.
C'est particulièrement dans les coulisses que l'hymen sévit avec le plus
de violence.--Sur une de nos grandes scènes, on parle de trois mariages
qui se préparent, et les préparatifs ne laissent pas que d'entraver le
travail des répétitions, à chaque instant interrompues par les
fournisseurs des futurs, qui viennent jusqu'au théâtre pour essayer les
trousseaux et étaler les merveilles des corbeilles de noces.
Un auteur dramatique, qui a un ouvrage en cinq actes à l'étude dans ce
théâtre, n'a pu arriver encore à faire mettre entièrement en scène le
troisième acte de
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