Propos de ville et propos de théâtre | Page 9

Henry Murger
amies, déposait dans son sein le bilan de ses illusions matrimoniales:
--Viens me voir souvent;--je te consolerai.
--Mais c'est que je ne puis pas sortir quand je veux.
--Ton mari est donc jaloux? demanda l'amie.
--Oh! ma chère, répondit la jeune épouse,--il a employé ma dot à acheter le fonds d'Othello...
* * * * *
Dans le cabinet d'un restaurant, deux amants s'expliquaient. Chacun d'eux ayant épuisé la somme d'arguments que lui fournissait son droit, après un bruyant échange de propos, les gestes remplacèrent le discours, et les parties commencèrent un échange de projectiles:
--Si tu ne te tais pas, disait une voix d'homme, je te lance le flambeau à la figure.
--Alors, répondit une voix de femme, retire au moins la bougie, sans cela je ne verrai pas clair pour te jeter la soupière à la tête.
Un double éclat de rire se fit entendre, et la querelle eut un baiser pour finale.
* * * * *
Le chef de cabinet d'un ministère racontait l'autre jour, dans un salon, qu'il avait eu le matin sous les yeux une demande signée d'un nom très-connu dans l'industrie, et qui était ainsi con?ue:
/# ?Monsieur le ministre,
?J'ai un mot à dire à Votre Excellence: je la prie de vouloir bien m'accorder, pour samedi prochain, une audience de deux heures.? #/
* * * * *
Dans une maison où elle avait été invitée, et où on l'avait re?ue avec toutes les attentions que l'on doit à une femme et à une artiste de talent, mademoiselle *** oublie un soir qu'elle était dans le monde, elle prend le lustre pour la rampe, le parquet pour les planches, et, se croyant en scène, elle commen?a une conversation où se trouvaient des réflexions dignes de figurer dans le dialogue d'une Lisette avec un Scapin. La ma?tresse de la maison, voulant mettre un terme à ce petit scandale, prit l'actrice à part:
--C'est sans doute une erreur qui nous procure l'avantage de vous avoir parmi nous? lui dit-elle.
--Comment cela? demanda l'actrice étonnée de l'apostrophe.
--Mais probablement, fit la dame, j'avais eu l'honneur d'inviter mademoiselle *** et elle m'envoie sa cuisinière.
* * * * *
Sur le boulevard, où il se promenait pour la première fois après dix ans d'absence, l'avocat S..., autrefois journaliste, rencontra, parmi ses anciennes connaissances, M. M..., avec lequel il avait été très-lié autrefois.
--Eh! cher ami, que je suis content de vous voir,--vous allez me donner un renseignement,--qu'est-ce qu'on me dit là-bas que vous avez fait une grosse fortune?
--Eh! cher ami, répondit modestement M. M..., il faut bien faire quelque chose.
* * * * *
Les personnes qui s'occupent des choses du théatre se rappellent sans doute qu'il y a quelques années une scène de vaudeville était dirigée par un Asiatique bizarre,--qui a laissé dans sa carrière administrative un recueil de souvenirs à faire passer la mémoire d'Harpagon et du père Grandet.
Dans un ouvrage que l'on montait sur son théatre, on avait engagé un chien, dont tout le r?le consistait à aboyer deux ou trois fois dans la coulisse, au milieu d'une scène dramatique.
Mais la veille de la représentation, à la répétition générale,--le chien manque son entrée.
L'Asiatique en question, qui parlait le fran?ais des nègres, se mit alors dans une de ces colères qui l'ont rendu à tout jamais mémorable:
--Chien! ou est chien? s'écrie-t-il en fureur.
--Moi pas trouver, dit le régisseur, obligé, pour se faire comprendre, de parler l'idiome de son directeur.
--Vous alors marquer chien à l'amende,--quand il sera trouvé.
Tout le monde se met à la poursuite du chien.--On fouille le théatre des cintres au troisième dessous.--Recherches inutiles.
--La pièce passe demain, dit l'un des auteurs,--on n'aura pas le temps de faire répéter une nouvelle bête. Il faut en louer une tout instruite, qui puisse jouer demain.--On peut se procurer cela au théatre des Chiens savants.
à cette proposition, dans laquelle sa lésinerie flaire de nouveaux frais,--l'Asiatique refuse net.
--Vous, couper scène du chien, dit-il aux auteurs.
--Nous, pas couper,--répondent ceux-ci,--vous, recevoir pièce avec chien,--vous, fournir chien pour jouer pièce, ou bien nous, envoyer à vous petit papier timbré.
Comme la discussion mena?ait de ne point prendre fin, l'acteur L..., un des meilleurs comiques de Paris, qui passe avec Brasseur pour savoir le mieux faire les imitations, proposa aux auteurs de se fier à lui pour imiter le chien, et il leur donna sur-le-champ un si complet échantillon de l'organe canin, que l'on crut un instant le pensionnaire fugitif retrouvé.
L'Asiatique, voulant donner à l'artiste qui se montrait si plein de bonne volonté une preuve de sa reconnaissance, vint sur-le-champ lui offrir une prise--sachant qu'il ne prenait pas de tabac.
à la satisfaction du public, qui ne supposa point la supercherie, le comique imita le chien pendant les vingt représentations premières.--Mais, comme les gens qui gasconnent ou grasseyent en voulant imiter le jargon girondin ou marseillais, l'artiste s'aper?ut avec inquiétude qu'il commen?ait à parler chien pour de bon, dans la vie privée.
Quand on lui disait bonjour,
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