Pour la patrie | Page 7

Jules-Paul Tardivel
le journaliste, convient aux esprits m��diocres, �� ceux qui n'ont point d'ambition, qui vivent au jour le jour, qui n'aspirent pas �� la gloire, au pouvoir, qui ne r��vent pas de grandeurs, qui se renferment dans leur petit n��goce et dont l'horizon se borne �� la porte de leur boutique ou au bout de leur champ. �� ceux-l�� l'_heureuse m��diocrit��_ chant��e par les po��tes. Mais ceux qui, comme vous et moi, vivent de la vie intellectuelle, devraient ��tre riches, l'homme qui travaille de la t��te du matin au soir, qui pense pour ses semblables, qui leur fournit des id��es, a besoin, pour se reposer, pour se retremper, d'un certain luxe mat��riel. Non seulement il en a besoin, il y a droit. Du reste, de nos jours, la richesse, c'est le pouvoir. Pour faire le bien, il faut ��tre riche, absolument. Que voulez-vous qu'un pauvre diable, comme vous ou moi, fasse dans le monde moderne? Si nous ��tions riches, quels ravages ne ferions-nous pas dans le camp ennemi!
En parlant ainsi Saint-Simon s'��tait exalt�� peu �� peu. Il gesticulait avec violence. Lamirande le regardait avec pi��t�� et terreur.
--Pauvre ami, dit-il, ce sont l�� de bien fausses id��es qui vous sont venues je ne sais d'o��. Pour les r��futer en d��tail il me faudrait plus de loisir que je n'en ai ce matin. D'ailleurs, vous devez sentir vous-m��me que ce sont de mis��rables sophismes: car vous n'ignorez pas que les grandes choses, m��me dans l'ordre purement humain, n'ont gu��re ��t�� accomplies par les riches. C'est une tentation, mon ami, repoussez-l�� par la pri��re.
Saint-Simon haussa les ��paules et secoua la t��te, mais ne r��pondit pas.
Lamirande et son compagnon, arriv��s �� destination, p��n��trent dans une mis��rable baraque; ils montent trois escaliers branlants et s'arr��tent �� la porte d'une petite chambre sous les combles. Le docteur frappe et une voix aigrie lui dit d'entrer. Il ouvre la porte et un spectacle navrant se pr��sente �� ses regards; une chambre basse, sombre, nue, froide et sale; au fond de la pi��ce un pauvre grabat sur lequel est ��tendu un vieillard. L'oeil exerc�� de Lamirande lit sur le visage de cet homme les ravages de la maladie, ou plut?t de la faim et de la mis��re. Il voit non moins distinctement les traces d'une grande souffrance morale. Ce vieillard n'est pas un pauvre ordinaire. Ses habits, d'une coupe ��l��gante et assez propres encore, forment un singulier contraste avec l'affreux aspect de la chambre. Lamirande s'approche du lit et regarde attentivement le vieillard.
--O�� ai-je donc vu ces traits? se dit-il en lui-m��me.
Puis tout haut:
--Mon cher monsieur, vous paraissez souffrant. Nous sommes venus, mon ami et moi, vous porter secours. Vous avez besoin de manger, sans doute; vous avez besoin de rem��des et de soins. Ne voulez-vous pas que je vous fasse entrer �� l'H?tel-Dieu? Vous y seriez infiniment mieux qu'ici....
Une expression p��nible et am��re contracta le visage du vieillard.
--Non, dit-il, je veux mourir ici; quelqu'un m'enterrera, ne serait-ce que pour se d��barrasser de mon cadavre.
--Il ne s'agit pas de vous enterrer, mon cher monsieur, dit Lamirande, mais de vous soigner et de vous gu��rir.
--Pourquoi vous int��ressez-vous �� moi? dit le vieillard. Je ne vous connais pas, vous ne me connaissez pas.... Je n'ai pas d'ami....
--Oh oui! vous avez des amis. Nous ne vous connaissons pas, il est vrai, mais nous voyons que vous ��tes seul, que vous ��tes malade, que vous ��tes un membre souffrant de J��sus-Christ. Cela suffit pour vous donner droit �� notre amiti��....
--Qui ��tes-vous? Pourquoi venez-vous ici? Que ne me laissez-vous pas mourir en paix?
--Je m'appelle Lamirande. Je suis venu ici parce que la soci��t�� Saint-Vincent-de-Paul m'a envoy�� vous voir et vous soulager. Quant �� mourir, ��tes-vous bien s?r de mourir en paix?
En pronon?ant ces derni��res paroles d'une voix ��mue, Lamirande jeta sur le vieillard un regard p��n��trant. L'��tranger se troubla. Lamirande continua:
--Ayez donc confiance en moi; dites-moi qui vous ��tes, d'o�� vous venez et pourquoi vous ��tes dans ce mis��rable galetas? Dites-moi ce que nous pouvons faire pour vous?
Le l��vres du vieillard fr��mirent, ses yeux se mouill��rent.
--Vous ��tes r��ellement bons, tous deux, dit-il. Pardonnez-moi si je vous ai si mal re?us tout �� l'heure. J'ai le coeur plein d'amertume et il d��borde. Mais je n'ai besoin de rien, laissez-moi, je vous en prie. Peu vous importe mon nom, peu vous importe mon histoire.
Et l'��tranger dirigea son regard vers Saint-Simon. Lamirande crut comprendre que le pauvre abandonn�� ne voulait pas parler en pr��sence de deux personnes. Aussi prit-il la d��termination de revenir seul.
Apr��s avoir ��chang�� encore quelques paroles avec leur ��trange prot��g��, les deux visiteurs prirent cong�� de lui et dirig��rent leurs pas vers d'autres r��duits o�� des pauvres plus loquaces et plus communicatifs les attendaient.
Deux heures plus tard, Lamirande, se trouvant libre, retourna seul aupr��s du vieillard. En gravissant le dernier escalier, il ne put
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