Pour la patrie | Page 6

Jules-Paul Tardivel
sont venus, à la dérobée.

Chapitre II
Quam malae famae est, qui derelinquit patrem.
Combien est infame celui qui abandonne son père.
Eccli. III, 18.
Le même soir, il se passait, dans un autre endroit de Québec, une scène bien différente. Malgré le temps affreux, plusieurs membres de la Saint-Vincent-de-Paul s'étaient rendus à la sacristie de la basilique pour assister à la réunion hebdomadaire de la conférence Notre-Darne.
Parmi les assistants était le Dl Joseph Lamirande. Celui-là, il n'y avait pas de tempête capable de le faire manquer à un devoir quelconque. Il pouvait avoir quarante ans. Sa figure grave et douce exprimait une très grande énergie tempérée par la bonté. Personne ne se souvenait de l'avoir entendu rire ni de l'avoir vu triste ou sombre. Mais s'il ne riait guère, souvent, lorsqu'il parlait, un beau sourire illuminait ses traits et sa voix prenait des accents d'une tendresse infinie. Arrivée à la conférence, il était allé s'asseoir sur le dernier banc, au milieu d'un groupe d'ouvriers, et se mêla à leur conversation.
Après la prière et la lecture d'usage, le président de la conférence prit la parole:
--Messieurs, plusieurs personnes m'ont averti ce matin qu'un vieillard, venu on ne sait d'où, se trouve dans un galetas de la rue de l'Ancien Chantier, au Palais, où il est allé se réfugier. Il est malade, évidemment, et para?t être dans un dénuement absolu. Il parle peu à ceux qui le questionnent et ne veut pas dire son nom. Ce n'est pas lui-même qui demande de l'assistance; ce sont quelques gens du voisinage qui ont cru devoir appeler l'attention de la conférence sur ce cas quelque peu extraordinaire. On craint que cet étrange vieillard ne meure de faim et de misère si la Saint-Vincent-de-Paul ne s'occupe de lui immédiatement. Je crois que nous devons ordonner une visite d'enquête pour demain matin.
Après un instant de silence:
--Personne ne s'y oppose? Eh bien! la visite d'enquête est ordonnée. Qui va s'en charger?... Le Dr Lamirande voudra bien la faire avec M. Saint-Simon qui n'est pas ici, mais qui accompagnera sans doute volontiers le docteur. Si quelqu'un peut faire du bien à l'ame et au corps de ce malheureux vieillard, c'est bien vous, docteur.
--Je ferai mon possible, monsieur le président, et dès demain matin.
Le lendemain matin, fidèle à sa promesse, Lamirande accompagné de M. Hercule Saint-Simon, directeur du _Progrès catholique_, se rend au Palais.
Quel ironie dans ce nom! Jadis, "du temps des Fran?ais", s'élevait dans ce quartier le palais de l'Intendant. Mais il y a longtemps que cet édifice est tombé en ruines et que les ruines mêmes sont disparues. De l'ancienne splendeur du palais il ne reste plus que le nom donné à un quartier de la ville, et plus particulièrement à une petite localité située entre Saint-Roch et la Basse-Ville. Le souvenir même de l'ancien palais est tellement effacé que beaucoup de personnes se demandent pourquoi ce quartier se nomme ainsi. Par une étrange vicissitude de la fortune, l'endroit appelé plus particulièrement le Palais est devenu le quartier pauvre par excellence. Que de misères, morales et physiques, s'entassent dans ces logements délabrés, mal éclairés, malpropre, souvent infects!
--Oh, la triste chose que la pauvreté! dit Saint-Simon. Elle est la cause de tout le mal moral et physique dans le monde.
--Elle est sans doute triste, répond Lamirande, puisqu'elle est un des fruits amers du premier péché; mais elle est plut?t triste dans sa cause que dans ses effets. Jésus-Christ, ne l'oublions pas, mon ami, était pauvre. Il a béni et ennobli la pauvreté, et Il nous a laissé les pauvres comme ses représentants. S'il n'y avait point de misères morales et corporelles à soulager, sur quoi s'exercerait la sainte charité,? Et sans la charité que deviendrait le monde livré à l'égo?sme? Cette terre cesserait d'être une vallée de larmes, soit, mais elle deviendrait un vaste et horrible désert.
--Vous avez peut-être raison, théoriquement, mais en pratique je trouve la pauvreté très incommode, répliqua Saint-Simon.
--Mais vous n'êtes pas pauvre, vous, dit Lamirande en souriant. Vous badinez. Par pauvreté, on entend le manque du nécessaire ou du très utile.
--Tout est relatif dans le monde, fait son compagnon. Sans doute, si vous me comparez à celui que nous allons visiter, je ne suis pas pauvre. Mais comparé à d'autres, à Montarval, par exemple, je le suis affreusement.
--Pourtant, celui qui peut se donner le nécessaire et même l'utile n'a pas le droit de se dire pauvre. Il est permis, sans doute, de travailler à rendre sa position matérielle meilleure, mais à la condition de ne point murmurer contre la Providence si nos projets ne réussissent pas au gré de nos désirs. La richesse que vous souhaitez serait peut-être une malédiction pour vous. Soyons certains, cher ami, que Dieu, qui nous aime, nous donne à chacun ce qui nous convient davantage. Il conna?t mieux que nous nos véritables besoins.
--L'Aurea mediocritas, soupira
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