Pour la patrie | Page 3

Jules-Paul Tardivel
suis par un c?té, j'aspire ardemment vers le triomphe définitif de la race fran?aise sur ce coin de terre que la Providence lui a donné en partage et que seule la Providence pourra lui enlever?
Pendant vingt années de journalisme, je n'ai guère fait autre chose que de la polémique. Sur le terrain de combat où je me suis constamment trouvé, j'ai peu cultivé les fleurs, visant bien plus à la clarté et à la concision qu'aux ornements du style. Resserré dans les limites étroites d'un journal à petit format, j'ai contracté l'habitude de condenser ma pensée, de l'exprimer en aussi peu de mots que possible, de m'en tenir aux grandes lignes, aux points principaux. Qu'on ne cherche donc pas dans ces pages le fini exquis des détails qui constitue le charme de beaucoup de romans. Je n'ai pas la prétention d'offrir au public une oeuvre littéraire délicatement ciselée ni une étude de moeurs patiemment fouillée: mais une simple ébauche où, à défaut de gracieux développements, j'ai taché de mettre quelques idées suggestives que l'imagination du lecteur devra compléter.
Si tel homme public, journaliste, député ou ministre, retrouve dans ces pages certaines de ses thèses favorites sur les lèvres ou sous la plume de personnages peu recommandables, qu'il veuille bien croire que je combats, non sa personne, mais ses doctrines.
J.-P. Tardivel.
Chemin Sainte-Foye, près Québec, Jeudi Saint, 1895.

Prologue
Haec omnia tibi dabo, si cadens adoraveris me.
Je vous donnerai toutes ces choses, si en vous prosternant vous m'adorez.
Matt, IV, 9.
Eblis! Eblis! Esprit de lumière! éternel Persécuté! Dieu vaincu mais vengeur! Moi, ton élu, moi, ennemi juré de ton ennemi Adona?, je t'invoque. Apparais à mes yeux, ames de l'univers! Esprit de feu, viens affermir ce bras consacré à ton oeuvre de destruction et de vengeance! Viens me guider dans la lutte contre le Persécuteur!
Ainsi parlait un tout jeune homme, debout devant une sorte d'autel où br?laient des parfums. Au-dessus de l'autel était un immense triangle lumineux.
L'aspect du jeune homme était en harmonie avec ses terribles paroles. Son oeil noir flamboyait, ses traits, que la nature avait faits très beaux, étaient bouleversés par la haine. Tout chez lui portait l'empreinte de la passion, de la vengeance, et d'une sombre énergie.
Autour de lui s'étalaient des meubles d'une grande richesse. Des objets d'art, des statues, des tableaux respirant la plus affreuse luxure ornaient la pièce au fond de laquelle s'élevait l'autel satanique.
Du dehors venaient, confus et indistincts, les bruits de la grande ville. Car bien que la nuit f?t déjà fort avancée, Paris, dans ces jours de trouble qui marquèrent la fin de l'année 1931, dormait peu.
A peine le jeune homme eut-il cessé de parler qu'une forme vague apparut entre l'autel et le triangle, au milieu de la fumée des parfums. Ou plut?t, c'était la fumée même qui, au lieu de monter en bouffées irrégulières, comme auparavant, prenait cette forme mystérieuse.
Le luciférien frémit.
--Eblis! Eblis! s'écria-t-il, tu viens! tu viens!
Rapidement, la forme devint de moins en moins confuse. Ses contours se découpèrent nettement. C'était la forme que les artistes donnent aux anges. L'apparition était lumineuse; mais sa lumière n'était pas éclatante et pure; elle était comme troublée et obscurcie. Le visage du fant?me était voilé.
--Eblis! s'écria le jeune homme de plus en plus exalté, parle à ton élu! Dis-lui où il doit aller, ce qu'il faut faire pour travailler au triomphe de ta cause, pour te venger d'Adona??
Une voix qui n'avait rien d'humain, un murmure qui semblait venir de loin, et qui parlait plut?t à l'intelligence qu'à l'oreille, répondit:
--Traverse les mers, rends-toi sur les bords du Saint-Laurent où tes ancêtres ont jadis planté l'étendard de mon éternel Ennemi. C'est là que ton oeuvre t'attend. La Croix est encore debout sur ce coin du globe. Abats-la. Compte sur mes inspirations.
La voix se tut. L'apparition s'évanouit. A sa place, il n'y avait que la fumée des parfums qui montait en spirales vers le triangle.

Chapitre I
Omnis enim qui male agit, odit lucem.
Quiconque fait le mal, hait la lumière.
Joan, III, 20.
--Quelle nuit! Il fait noir comme au fond d'une caverne.
--C'est bien la nuit qu'il faut pour nous. Suis-moi et ne parle pas.
Les deux hommes qui ont échangé ces paroles quittent, à pas précipités, une belle maison située sur une des principales rues de Québec, et se dirigent, par les voies les moins fréquentées, vers l'un des faubourgs. Ils ont, du reste, peu de difficulté à se dérober aux regards des passants, car les rues sont désertes. Il fait une nuit terrible. La pluie tombe par torrents, une pluie froide, poussée par le vent du nord-est qui mugit autour des maisons et les ébranle jusque dans leurs fondements. Les lumières électriques sont éteintes; la tempête qui sévit depuis deux jours a complètement désorganisé le service.
C'est une nuit au commencement de novembre de l'année 1945.
Une bourrasque, plus violentes que les autres, S'abat sur la ville.
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 98
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.