Pour cause de fin de bail | Page 9

Alphonse Allais

--Mais non, bonne maman.
--Tu dors bien?
--Comme le peintre Luigi Loir lui-même.
--Ah! tu as une étrange complexion!

Et comme, en somme, Georges conservait sa bonne mine et sa belle
humeur, la vieille grand'maman ne s'inquiétait pas outre mesure de cet
inexplicable manque d'appétit.
II
Un jour, la petite bonne du restaurant dit à Georges:
--Il y a du nouveau.
--Ah!
--Je quitte la boîte.
--Ah!
--Oui, on m'a offert une place dans un magasin du boulevard où l'on
vend un apéritif grec, le Kina Passonrigolo. C'est moi qui tiendrai le
comptoir de dégustation. Vous me viendrez voir?
Le reste, vous le devinez! (Vous avez bien deviné que la petite
s'appelait Eugénie.)
Georges remplaça son absorption d'aliments solides par une égale
consommation d'apéritif breuvage.
Et sa bonne vieille grand'mère fut radieuse de lui voir tant d'appétit
revenu!
Oui, mais voilà!
(Ou plutôt voici:)
Eugénie, en changeant de fonction, également changea d'âme. De
vertueuse qu'elle était, elle devint la plus lubrique des maîtresses, et le
pauvre Georges en vit de dures!
(Eugénie aussi, comme de juste, mais n'insistons pas, rapport à notre
clientèle de jeunes filles.)

Georges maigrit, maigrit, maigrit!
Et la bonne vieille maman disait tout éplorée:
--Je n'y comprends rien, mon pauvre Georges! Tant que tu ne mangeais
pas, tu avais une mine superbe, et maintenant que tu dévores, tu as l'air
d'un déterré! Quelle drôle de complexion!
ÉPILOGUE
(Pour rassurer les familles)
Un beau jour, Georges s'aperçut qu'Eugénie le trompait avec le Grec
commanditaire du Kina Passonrigolo. Il plaqua froidement l'infâme et
se maria avec une jeune fille qui ne le poussa ni à la suralimentation, ni
à l'extrême apéritivité, ni à autre chose itou, comme disent les
villageois.
Et la pauvre vieille grand'maman fut joliment contente.
Maintenant, elle peut mourir en paix, dit-elle.
Sans empressement, d'ailleurs.

SCEPTIQUE ENFANCE
--Eh bien! mon vieux Georges?
--Eh bien! mon vieux Fifi?
L'appellation de «vieux Georges» désigne un jeune gentleman, mon
filleul, lequel cingle allègrement vers son huitième printemps.
Le «vieux Fifi» n'est autre que l'honorable signataire de ces propres
lignes.
--Et le niveau des études?

--Ça se maintient à peu près... Ça ne casse rien, mais ça se maintient.
--À quelle branche de la science te voues-tu plus particulièrement?
--Je n'ai pas de préférence, tu sais. C'est bien le même rasoir, tout ça...
Pourtant, il y a un truc qui m'a vraiment fait rigoler, l'autre jour.
Imagine-toi que nous avons commencé l'Histoire Sainte.
--Et c'est l'Histoire Sainte...
--Qui m'a gondolé? Oui, c'est ça.
--Il n'y a pourtant pas de quoi.
--Tu crois ça, toi? Eh bien, moi je dis qu'il faut que les curés nous
prennent sérieusement pour des poires, de nous envoyer des boniments
comme ça!
--Mon cher Georges, ton âge ne t'autorise pas à tenir un tel langage!
--Qu'est-ce que tu veux, c'est mon caractère, à moi!... Ainsi, la création
du monde, crois-tu que ça s'est passé comme on le raconte dans
l'Histoire Sainte?
--Évidemment.
--Tiens, voilà l'effet que tu me fais. (Il hausse les épaules). Mais, mon
pauvre vieux, ça ne tient pas debout, tout ça!--Par exemple, les lions,
les tigres, les jaguars, de quoi qu'ils se sont nourris, un coup que le bon
Dieu les a eu créés?
--Ma foi, je t'avouerai...
--Tu ne vas pas me dire qu'ils ont brouté de l'herbe, et mangé du
pissenlit.
--Je ne dis pas cela.
--Alors quoi! Ils se sont donc mis à boulotter les pauvres moutons, les

pauvres antilopes que le Seigneur venait de créer. En voilà une
administration!
--Il y a évidemment là...
--Et les asticots qu'on trouve dans le fromage, et les espèces de petites
anguilles que tu m'as montrées avec ton microscope dans le vinaigre!
Où qu'ils étaient, tous ces petits animaux ridicules, avant qu'on ait
inventé le fromage, le vinaigre et tout le reste?
--Bien sûr que...
--Et tous les sales microbes qui vous fichent un tas de maladies, ça a
beau être tout petit, c'est des bêtes comme les autres, créées par le bon
Dieu en même temps que tous les animaux. Eh bien! qu'est-ce qu'ils
faisaient, où nichaient-ils quand Adam et Ève étaient bien portants, car
sûr qu'ils en avaient, une santé, ces deux-là!
--Je ne sais pas.
--Et puis, il y a encore quelque chose qui me chiffonne dans toute cette
histoire-là... Seulement, promets-moi de ne pas dire à maman que je t'ai
causé de ça.
--Je te le jure.
--Abel et Caïn, ils n'avaient pas de femmes, dis?
--Je ne crois pas.
--Alors, dis-moi comment qu'ils ont fait pour avoir des gosses?

AU PAYS DE L'OR
(Extrait d'une lettre que je reçois à l'instant même d'un de mes amis qui
est au Klondyke.)

* * * * *
«Mais c'est surtout dans les industries à côté qu'on réalise d'incroyables
et rapides fortunes.
» Tel trafiquant de marchandises rares, tel tenancier de music-hall
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 41
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.