Pour cause de fin de bail | Page 2

Alphonse Allais
heures au plus tard, et on d��jeunerait en route, �� la petite auberge du Douet de la Taille.
Un mot, en passant, sur ce modeste ��tablissement dans lequel on savoure, soit dit sans reproche, la meilleure cuisine de tout le Calvados.
Situ��e sur la route de Trouville �� Caen, �� l'intersection d'une autre voie dont j'oublie la provenance et la destination, tenue par les braves ��poux Morel, l'auberge du Douet de la Taille s'intitula d'abord: ?Au rendez-vous des jockeys?, pour cette raison qu'il existe, tout pr��s de l��, une vaste piste d'entra?nement dont la client��le constituait aussi celle de ladite maison.
Plus tard, beaucoup d'herbagers et de bouchers, qui se rendent chaque jeudi au march�� de Beaumont-en-Auge, ayant pris l'habitude de s'arr��ter chez Morel pour y boire un verre ou y d��jeuner, l'enseigne s'allongea et devint: ?Au rendez-vous des jockeys et des marchands de bestiaux.?
Plus tard encore, l'enseigne subit l'adjonction de MM. les cyclistes et, en ce moment, Constant Morel, grattant fi��rement sa t��te, se demande s'il ne si��rait point d'adopter cette formule d��finitive alors: Au rendez-vous des jockeys, des marchands de bestiaux, des cyclistes, des automobilistes et autres.
Au rendez-vous de tout le monde, quoi!
Brave Constant Morel!
Nous d?mes �� Roseburn:
--Tu emm��nes Georgette!
--Jamais de la vie, par exemple!
Roseburn adore Georgette et jamais il ne l'emm��ne avec lui, nulle part! Expliquez cela.
Georgette adore Roseburn et, alors, dam! elle rage de ce que Roseburn ne l'emm��ne pas partout o�� va Roseburn.
Les sc��nes qui r��sultent de cette situation, vous les contemplez d'ici, n'est-ce pas?
Roseburn n'all��gue qu'un motif pour expliquer son attitude, mais c'est un mauvais motif:
--Je ne t'emm��ne pas, parce que l�� o�� nous allons, ?a n'est pas la place d'une femme.
--Les courses de Pont-l'��v��que, pourtant?
--Raison de plus!
Allez donc raisonner avec un tel dialecticien!
On avait pris rendez-vous chez Deschamps, au bar, et comme tout le monde ��tait en retard, chacun en attendant les autres s'��tait vu contraint d'absorber plus de ?John Collins? qu'il ne convenait r��ellement.
Et puis, il y avait aussi la chaleur!
Bref, quand nous arrivames au Douet de la Taille, la bonne Mme Morel ne put s'emp��cher de remarquer:
--Voil�� des messieurs qui ont l'air de prendre la vie par le bon bout!
On se mit �� table.
Le canard au sang (oh! ce canard!) ne fut qu'une bouch��e pour nous, qu'une bouch��e de petit enfant.
Nous allions passer �� la suite quand, nageant dans sa sueur, un jeune groom cycliste de l'H?tel de Paris apporta une lettre �� Roseburn, une lettre de madame.
--Oh! la raseuse! fit notre ami. Vous permettez...
D��cachetant la missive, Roseburn y jeta un regard distrait.
Soudain, nous le v?mes se lever, palir, chanceler...
--Ah! mon Dieu!
--Quoi? Qu'y a-t-il?
--Il y a que Georgette s'est tu��e! Pauvre enfant! Et c'est moi qui suis cause de sa mort!... Georgette s'est tu��e!
--Que racontes-tu l��?
--Lisez plut?t.
Et du doigt, nous d��signant un passage de la lettre, il lut ?... L'existence m'est devenue impossible, je me tue...?
--Peut-��tre y a-t-il encore de l'espoir? (Au jeune groom.) Qui t'a remis cette lettre?
--Madame elle-m��me.
--Comment ��tait-elle habill��e?
--En mousseline blanche.
--C'est bien cela! Romanesque comme elle est, la pauvre enfant a voulu se v��tir de blanc pour attendre la mort!
Cependant l'un de nous ramassait la lettre tomb��e �� terre et en prenait une connaissance plus compl��te.
Voici ce qu'il lut: ?... Dans ces conditions-l��, mon cher ami, l'existence m'est devenue impossible. Je me tue �� te le r��p��ter, je finirai par te planter l��, etc.?
Nous poussames tous un vif soupir de soulagement et repr?mes notre repas interrompu, non sans avoir d��gust�� un de ces vieux calvados, comme dit l'autre, qui vous remettent le coeur en place.

TRISTE FIN D'UN TOUT PETIT GROOM
C'est un fait-divers �� la fois banal et navrant.
Beaucoup de Parisiens connaissaient le petit groom de Maxim's, le plus petit des grooms de Maxim's, celui qui ��tait de taille si menue qu'un soir une horizontale des plus grises, abus��e par l'uniforme ��carlate de l'enfant, le prit pour une ��crevisse et voulait, �� toute force, lui arracher une patte.
(Sans l'��nergie du peintre Paul Robert, le jeune groom passait un mauvais moment.)
Eh bien, le pauvre petit n'est plus: il a mis lui-m��me fin �� ses jours vendredi matin �� l'aube.
Jeudi dernier--nos lecteurs s'en souviennent probablement encore--c'��tait la Mi-Car��me.
Or, pr��cis��ment, ce jour-l��, plusieurs clubmen d��jeunaient au c��l��bre restaurant de la rue Royale.
Au dessert, l'un de ces messieurs, ne trouvant pas dans l'��tablissement les cigares qu'il d��sirait, pria le jeune groom d'aller lui en qu��rir une bo?te au Tobacco-shop du Grand-H?tel et lui remit, en vue de cette acquisition, un billet de cent francs.
L'enfant arriva sans encombres, mais le retour fut plus p��nible.
D��j�� une foule compacte et tumultueuse encombrait le boulevard, ardente au combat des confetti.
Parmi les rares masques qui ��maillaient cette tourbe, quatre jeunes gens se faisaient particuli��rement remarquer.
D��guis��s en famille anglaise, l'un repr��sentait le p��re, flanqu��, naturellement, de longs favoris jaunes; le second ��tait attif�� en vieille milady �� tire-bouchons; les deux autres portaient
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