Pot-bouille | Page 2

Emile Zola
noir et les pantoufles bleu ciel de M. Gourd:
--Vous savez, c'est l'ancien valet de chambre du duc de Vaugelade.
--Ah! dit simplement Octave.
--Parfaitement, et il a épousé la veuve d'un petit huissier de Mort-la-Ville. Ils possèdent même une maison là-bas. Mais ils attendent d'avoir trois mille francs de rente pour s'y retirer.... Oh! des concierges convenables!
Le vestibule et l'escalier étaient d'un luxe violent. En bas, une figure de femme, une sorte de Napolitaine toute dorée, portait sur la tête une amphore, d'où sortaient trois becs de gaz, garnis de globes dépolis. Les panneaux de faux marbre, blancs à bordures roses, montaient régulièrement dans la cage ronde; tandis que la rampe de fonte, à bois d'acajou, imitait le vieil argent, avec des épanouissements de feuilles d'or. Un tapis rouge, retenu par des tringles de cuivre, couvrait les marches. Mais ce qui frappa surtout Octave, ce fut, en entrant, une chaleur de serre, une haleine tiède qu'une bouche lui soufflait au visage.
--Tiens! dit-il, l'escalier est chauffé?
--Sans doute, répondit Campardon. Maintenant, tous les propriétaires qui se respectent, font cette dépense.... La maison est très bien, très bien....
Il tournait la tête, comme s'il en eut sondé les murs, de son oeil d'architecte.
--Mon cher, vous allez voir, elle est tout à fait bien.... Et habitée rien que par des gens comme il faut!
Alors, montant, avec lenteur, il nomma les locataires. A chaque étage, il y avait deux appartements, l'un sur la rue, l'autre sur la cour, et dont les portes d'acajou verni se faisaient face. D'abord, il dit un mot de M. Auguste Vabre: c'était le fils a?né du propriétaire; il avait pris, au printemps, le magasin de soierie du rez-de-chaussée, et occupait également tout l'entresol. Ensuite, au premier, se trouvaient, sur la cour, l'autre fils du propriétaire, M. Théophile Vabre, avec sa dame, et sur la rue, le propriétaire lui-même, un ancien notaire de Versailles, qui logeait du reste chez son gendre, M. Duveyrier, conseiller à la cour d'appel.
--Un gaillard qui n'a pas quarante-cinq ans, dit en s'arrêtant Campardon, hein? c'est joli!
Il monta deux marches, et se tournant brusquement, il ajouta:
--Eau et gaz à tous les étages.
Sous la haute fenêtre de chaque palier, dont les vitres, bordées d'une grecque, éclairaient l'escalier d'un jour blanc, se trouvait une étroite banquette de velours. L'architecte fit remarquer que les personnes agées pouvaient s'asseoir. Puis, comme il dépassait le second étage, sans nommer les locataires:
--Et là? demanda Octave, en désignant la porte du grand appartement.
--Oh! là, dit-il, des gens qu'on ne voit pas, que personne ne conna?t.... La maison s'en passerait volontiers. Enfin, on trouve des taches partout....
Il eut un petit souffle de mépris.
--Le monsieur fait des livres, je crois.
Mais, au troisième, son rire de satisfaction reparut. L'appartement sur la cour était divisé en deux: il y avait là madame Juzeur, une petite femme bien malheureuse, et un monsieur très distingué, qui avait loué une chambre, où il venait une fois par semaine, pour des affaires. Tout en donnant ces explications, Campardon ouvrait la porte de l'autre appartement.
--Ici, nous sommes chez moi, reprit-il. Attendez, il faut que je prenne votre clef.... Nous allons monter d'abord à votre chambre, et vous verrez ma femme ensuite.
Pendant les deux minutes qu'il resta seul, Octave se sentit pénétrer par le silence grave de l'escalier. Il se pencha sur la rampe, dans l'air tiède qui venait du vestibule; il leva la tête, écoutant si aucun bruit ne tombait d'en haut. C'était une paix morte de salon bourgeois, soigneusement clos, où n'entrait pas un souffle du dehors. Derrière les belles portes d'acajou luisant, il y avait comme des ab?mes d'honnêteté.
--Vous aurez d'excellents voisins, dit Campardon, qui avait reparu avec la clef: sur la rue, les Josserand, toute une famille, le père caissier à la cristallerie Saint-Joseph, deux filles à marier; et, près de vous, un petit ménage d'employé, les Pichon, des gens qui ne roulent pas sur l'or, mais d'une éducation parfaite.... Il faut que tout se loue, n'est-ce pas? même dans une maison comme celle-ci.
A partir du troisième, le tapis rouge cessait et était remplacé par une simple toile grise. Octave en éprouva une légère contrariété d'amour-propre. L'escalier, peu à peu, l'avait empli de respect; il était tout ému d'habiter une maison si bien, selon l'expression de l'architecte. Comme il s'engageait, derrière celui-ci, dans le couloir qui conduisait à sa chambre, il aper?ut, par une porte entr'ouverte, une jeune femme debout devant un berceau. Elle leva la tête, au bruit. Elle était blonde, avec des yeux clairs et vides; et il n'emporta que ce regard, très distinct, car la jeune femme, tout d'un coup rougissante, poussa la porte, de l'air honteux d'une personne surprise.
Campardon s'était tourné, pour répéter:
--Eau et gaz à tous les étages, mon cher.
Puis, il montra une porte qui communiquait avec l'escalier de service. En haut, étaient les chambres de domestique. Et,
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