Portraits litteraires, Tome II. | Page 7

C.-A. Sainte-Beuve
apr��s avoir hant��, dit-on, les tr��teaux du Pont-Neuf, suivi de pr��s les Italiens et Scaramouche, il se mit �� la t��te d'une troupe de com��diens de soci��t��, qui devint bient?t une troupe r��guli��re et de profession. Les deux fr��res B��jart, leur soeur Madeleine, Duparc dit Gros-Ren�� faisaient partie de cette bande ambulante qui s'intitulait l'Illustre Th��atre. Notre po?te rompit d��s lors avec sa famille et les Poquelin; il prit nom Moli��re. Moli��re courut avec sa troupe les divers quartiers de Paris, puis la province. On dit qu'il fit jouer �� Bordeaux une Th��ba?de, tentative du genre s��rieux, qui ��choua. Mais il n'��pargnait pas les farces, les canevas �� l'italienne, les impromptus, tels que le M��decin volant et la Jalousie du Barbouill��, premiers crayons du M��decin malgr�� lui et de Georges Dandin, et qui ont ��t�� conserv��s, les Docteurs rivaux, le Ma?tre d'��cole, dont on n'a que les titres, le Docteur amoureux, que Boileau daignait regretter. Il allait ainsi �� l'aventure, bien re?u du duc d'��pernon �� Bordeaux, du prince de Conti en chaque rencontre, lou�� de d'Assoucy qu'il recevait et h��bergeait en prince �� son tour, hospitalier, lib��ral, bon camarade, amoureux souvent, essayant toutes les passions, parcourant tous les ��tages, menant �� bout ce train de jeunesse, comme une Fronde joyeuse �� travers la campagne, avec force provision, dans son esprit, d'originaux et de caract��res. C'est dans le cours de cette vie errante qu'en 1653, �� Lyon, il fit repr��senter l'��tourdi, sa premi��re pi��ce r��guli��re; il avait trente et un ans.
Moli��re, on le voit, d��buta par la pratique de la vie et des passions avant de les peindre. Mais il ne faudrait pas croire qu'il y e?t dans son existence int��rieure deux parts successives comme dans celle de beaucoup de moralistes et satiriques ��minents: une premi��re part active et plus ou moins fervente; puis, cette chaleur faiblissant par l'exc��s ou par l'age, une observation acre, mordante, d��sabus��e enfin, qui revient sur les motifs, les scrute et les raille. Ce n'est pas l�� du tout le cas de Moli��re ni celui des grands hommes dou��s, �� cette mesure, du g��nie qui cr��e. Les hommes distingu��s, qui passent par cette double phase et arrivent promptement �� la seconde, n'y acqui��rent, en avan?ant, qu'un talent critique fin et sagace, comme M. de La Rochefoucauld, par exemple, mais pas de mouvement animateur ni de force de cr��ation. Le g��nie dramatique, et celui de Moli��re en particulier, a cela de merveilleux que le proc��d�� en est tout diff��rent et plus complexe. Au milieu des passions de sa jeunesse, des entra?nements emport��s et cr��dules comme ceux du commun des hommes, Moli��re avait d��j�� �� un haut degr�� le don d'observer et de reproduire, la facult�� de sonder et de saisir des ressorts qu'il faisait jouer ensuite au grand amusement de tous; et plus tard, au milieu de son enti��re et triste connaissance du coeur humain et des mobiles divers, du haut de sa m��lancolie de contemplateur philosophe, il avait conserv�� dans son propre coeur, on le verra, la jeunesse des impressions actives, la facult�� des passions, de l'amour et de ses jalousies, le foyer v��ritablement sacr��. Contradiction sublime et qu'on aime dans la vie du grand po?te! assemblage ind��finissable qui r��pond �� ce qu'il y a de plus myst��rieux aussi dans le talent dramatique et comique, c'est-��-dire la peinture des r��alit��s am��res moyennant des personnages anim��s, faciles, r��jouissants, qui ont tous les caract��res de la nature; la dissection du coeur la plus profonde se transformant en des ��tres actifs et originaux qui la traduisent aux yeux, en ��tant simplement eux-m��mes!
On rapporte que, pendant son s��jour �� Lyon, Moli��re, qui s'��tait d��j�� li�� assez tendrement avec Madeleine B��jart, s'��prit de mademoiselle Duparc (ou de celle qui devint mademoiselle Duparc en ��pousant le com��dien de ce nom) et de mademoiselle de Brie, qui toutes deux faisaient partie d'une autre troupe que la sienne; il parvint, malgr�� la B��jart, dit-on, �� engager dans sa troupe les deux com��diennes, et l'on ajoute que, rebut�� de la superbe Duparc, il trouva dans mademoiselle de Brie des consolations auxquelles il devait revenir encore durant les tribulations de son mariage. On est all�� jusqu'�� indiquer dans la sc��ne de Clitandre, Armande et Henriette, au premier acte des Femmes savantes, une r��miniscence de cette situation ant��rieure de vingt ann��es �� la com��die. Nul doute qu'entre Moli��re fort enclin �� l'amour, et les jeunes com��diennes qu'il dirigeait, il ne se soit form�� des noeuds mobiles, crois��s, parfois interrompus et repris; mais il serait t��m��raire, je le crois, d'en vouloir retrouver aucune trace pr��cise dans ses oeuvres, et ce qui a ��t�� mis en avant sur cette allusion, pour laquelle on oublie les vingt ann��es d'intervalle, ne me semble pas justifi��.
On conserve �� P��z��nas un fauteuil dans lequel, dit-on, Moli��re venait s'installer tous les samedis, chez
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 223
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.