rien qui touche, qui enlève
et fasse qu'on s'écrie avec Ducis: «Oh! que toutes ces pauvres maisons
bourgeoises rient à mon coeur!» Sans doute à une époque d'analyse et
de retour sur soi-même, une âme d'enfant rêveur eût tiré parti de cette
gêne et de ce refoulement; mais il n'y fallait pas songer alors, et
d'ailleurs l'âme de Boileau n'y eût jamais été propre. Il y avait bien, il
est vrai, la ressource de la moquerie et du grotesque; déjà Villon et
Regnier avaient fait jaillir une abondante poésie de ces moeurs
bourgeoises, de cette vie de cité et de basoche; mais Boileau avait une
retenue dans sa moquerie, une sobriété dans son sourire, qui lui
interdisait les débauches d'esprit de ses devanciers. Et puis les moeurs
avaient perdu en saillie depuis que la régularité d'Henri IV avait passé
dessus: Louis XIV allait imposer le décorum. Quant à l'effet hautement
poétique et religieux des monuments d'alentour sur une jeune vie
commencée entre Notre-Dame et la Sainte-Chapelle, comment y penser
en ce temps-là? Le sens du moyen-âge était complètement perdu; l'âme
seule d'un Milton pouvait en retrouver quelque chose, et Boileau ne
voyait guère dans une cathédrale que de gras chanoines et un lutrin.
Aussi que sort-il tout à coup, et pour premier essai, de cette verve de
vingt-quatre ans, de cette existence de poëte si longtemps misérable et
comprimée? Ce n'est ni la pieuse et sublime mélancolie du Penseroso
s'égarant de nuit, tout en larmes, sous les cloîtres gothiques et les
arceaux solitaires; ni une charge vigoureuse dans le ton de Regnier sur
les orgies nocturnes, les allées obscures et les escaliers en limaçon de la
Cité; ni une douce et onctueuse poésie de famille et de coin du feu,
comme en ont su faire La Fontaine et Ducis; c'est Damon, ce grand
auteur, qui fait ses adieux à la ville, d'après Juvénal; c'est une autre
satire sur les embarras des rues de Paris; c'est encore une raillerie fine
et saine des mauvais rimeurs qui fourmillaient alors et avaient usurpé
une grande réputation à la ville et à la cour. Le frère de Gilles Boileau
débutait, comme son caustique aîné, par prendre à partie les Cotin et les
Ménage. Pour verve unique, il avait la haine des sots livres.
Nous venons de dire que le sens du moyen-âge était déjà perdu depuis
longtemps; il n'avait pas survécu en France au XVIe siècle; l'invasion
grecque et romaine de la Renaissance l'avait étouffé. Toutefois, en
attendant que cette grande et longue décadence du moyen-âge fût
menée à terme, ce qui n'arriva qu'à la fin du XVIIIe siècle, en attendant
que l'ère véritablement moderne commençât pour la société et pour l'art
en particulier, la France, à peine reposée des agitations de la Ligue et de
la Fronde, se créait lentement une littérature, une poésie, tardive sans
doute et quelque peu artificielle, mais d'un mélange habilement fondu,
originale dans son imitation, et belle encore au déclin de la société dont
elle décorait la ruine. Le drame mis à part, on peut considérer Malherbe
et Boileau comme les auteurs officiels et en titre du mouvement
poétique qui se produisit durant les deux derniers siècles, aux sommités
et à la surface de la société française. Ils se distinguent tous les deux
par une forte dose d'esprit critique et par une opposition sans pitié
contre leurs devanciers immédiats. Malherbe est inexorable pour
Ronsard, Des Portes et leurs disciples, comme Boileau le fut pour
Colletet, Ménage, Chapelain, Benserade, Scudery. Cette rigueur,
surtout celle de Boileau, peut souvent s'appeler du nom d'équité;
pourtant, même quand ils ont raison, Malherbe et Boileau ne l'ont
jamais qu'à la manière un peu vulgaire du bon sens, c'est-à-dire sans
portée, sans principes, avec des vues incomplètes, insuffisantes. Ce
sont des médecins empiriques; ils s'attaquent à des vices réels, mais
extérieurs, à des symptômes d'une poésie déjà corrompue au fond; et,
pour la régénérer, ils ne remontent pas au coeur du mal. Parce que
Ronsard et Des Portes, Scudery et Chapelain leur paraissent détestables,
ils en concluent qu'il n'y a de vrai goût, de poésie véritable, que chez les
anciens; ils négligent, ils ignorent, ils suppriment tout net les grands
rénovateurs de l'art au moyen-âge; ils en jugent à l'aveugle par quelques
pointes de Pétrarque, par quelques concetti du Tasse auxquels s'étaient
attachés les beaux esprits du temps d'Henri III et de Louis XIII. Et
lorsque dans leurs idées de réforme, ils ont décidé de revenir à
l'antiquité grecque et romaine, toujours fidèles à cette logique
incomplète du bon sens qui n'ose pousser au bout des choses, ils se
tiennent aux Romains de préférence aux Grecs; et le siècle d'Auguste
leur présente au premier aspect le type absolu du beau. Au reste, ces
incertitudes et ces inconséquences étaient inévitables en un siècle
épisodique, sous un règne
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