Tartarin, des dépositions empruntées à la _Gazette des Tribunaux; _et quand vous rencontrerez ?a et là, quelque tarasconnade par trop extravagante, que le crique me croque si elle est de mon invention[2]!
LIVRE PREMIER
Chapitre I
_Doléances de Tarascon contre l'état des choses. -- Les boeufs, les Pères blancs. --Un tarasconnais au pays. -- Siège et reddition de l'abbaye de Pampérigouste._
?Franquebalme, mon bon..., Je ne suis pas content de la France!... Nos gouvernants nous font de tout.?
Proférées un soir par Tartarin devant la cheminée du cercle, avec le geste et l'accent qu'on imagine, ces paroles mémorables résument bien ce qui se pensait et disait à Tarascon-sur-Rh?ne deux ou trois mois avant l'émigration. Le Tarasconnais en général ne s'occupe pas de politique: indolent de nature, indifférent à tout ce qui ne l'atteint pas localement, il tient pour l'_état de choses_, comme il dit. Pas moins, depuis quelque temps, on lui reprochait un tas de choses, à l'_état de choses_!
?Nos gouvernants nous font de tout!? disait Tartarin.
Dans ce ?de tout? il y avait d'abord l'interdiction des courses de taureaux.
Vous connaissez sans doute l'histoire de ce Tarasconnais très mauvais chrétien et garnement de la pire espèce, lequel après sa mort s'étant introduit au Paradis par surprise, pendant que saint Pierre avait le dos tourné, n'en voulait plus sortir, malgré les supplications du divin porte-clefs. Alors, que fit le grand saint Pierre? Il envoya toute une volée d'anges clamer devant le ciel autant qu'ils auraient de voix:
?Té! té!... les boeufs!... Té! té!... les boeufs!...? qui est le cri des courses tarasconnaises. Oyant cela, le bandit change de figure:
?Vous avez donc des courses, par ici, grand saint Pierre?
-- Des courses?... je crois bien magnifiques, mon bon.
-- Où donc ?à?... où se font-elles, ces courses?
-- Devant le Paradis... Il y a du large, tu penses.
Du coup le Tarasconnais se précipite dehors pour voir, et les portes du ciel se referment sur lui à tout jamais.
Si je rappelle ici cette légende aussi vieille que les bancs du tour-de-ville, c'est afin d'indiquer la passion des gens de Tarascon pour les courses de taureaux et la colère où les mit la suppression de ce genre d'exercice.
Après, vint l'ordre d'expulser les Pères-Blancs de fermer leur joli couvent de Pampérigouste, perché sur une collinette toute grise de thym et de lavande installé là depuis des siècles aux portes de la ville, d'où l'on aper?oit, entre les pins, la dentelle de ses clochetons carillonnant dans les brises claires du matin avec le chant des alouettes, au crépuscule avec le cri mélancolique des courlis.
Les Tarasconnais les aimaient beaucoup, leurs Pères-Blancs, doux, bons, inoffensifs, et qui savaient tirer des herbes parfumées dont la montagnette est couverte un si excellent élixir; ils les aimaient pareillement pour leurs patés d'hirondelles et leurs délicieux _pains-poires[3]_, qui sont des coings enveloppés d'une pate fine et dorée, d'où le nom de Pampérigouste[4] donné à l'abbaye.
Aussi quand l'ordre officiel d'avoir à quitter leur couvent fut envoyé aux Pères et que ceux-ci refusèrent de sortir, quinze cents à deux mille Tarasconnais du commun, portefaix, décrotteurs, déchargeurs de bateaux du Rh?ne, ce que nous appelons la rafataille, vinrent s'enfermer dans Pampérigouste avec les bons moines.
La bourgeoisie tarasconnaise, les messieurs du cercle, Tartarin en tête, pensaient bien aussi à soutenir la sainte cause. Il n'y eut pas une minute d'hésitation. Mais on ne se jette pas dans une pareille entreprise sans préparatifs d'aucune sorte. Bon pour la rafataille, d'agir ainsi étourdiment.
Avant tout, il fallait des costumes. Et ils furent commandés; de superbes costumes renouvelés de la croisade, longues lévites noires, avec une grande croix blanche sur la poitrine, et partout, devant, derrière, des entrelacements de fémurs soutachés. La soutache surtout prit beaucoup de temps.
Quant tout fut prêt, le couvent était déjà investi. Les troupes l'entouraient d'un triple cercle, campées dans les champs et sur les pentes pierreuses de la petite colline.
Les pantalons rouges de loin semblaient dans le thym et la lavande une floraison subite de coquelicots.
On rencontrait par les chemins de continuelles patrouilles de cavaliers, la carabine le long de la cuisse, le fourreau de sabre battant le flanc du cheval, l'étui de revolver à la ceinture.
Mais ce déploiement de forces n'était pas pour arrêter l'intrépide Tartarin, qui avait résolu de passer, ainsi qu'un gros de messieurs du cercle.
à la file indienne, rampant sur les mains et les genoux avec toutes les précautions, toutes les ruses classiques des sauvages de Fenimore, ils réussirent à se glisser à travers les lignes d'investissement, longeant les rangées des tentes endormies, tournant les sentinelles, les patrouilles, et de l'un à l'autre se signalant les passages dangereux par une imparfaite imitation de cris d'oiseaux.
Il en fallait du courage pour tenter l'aventure par ces nuits claires comme un plein jour; Il est vrai de dire que les assiégeants avaient tout intérêt à laisser entrer le plus de monde possible.
Ce qu'on voulait,
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