tout n'est pas rose dans l'existence du romancier...
Chose ��trange, �� mesure que nous approchions de la ville, les chemins se d��peuplaient, les charrettes de vendanges devenaient plus rares. Bient?t nous n'e?mes plus devant nous que la route vide et blanche, et tout autour dans la campagne le large et la solitude du d��sert.
?C'est bizarre, disait Mistral, tous bas un peu impressionn��, on se croirait un dimanche.
-- Si c'��tait dimanche, nous entendrions les cloches...? ajouta mon fils, sur le m��me ton, car le silence qui enveloppait la ville et sa banlieue avait quelque chose d'opprimant. Rien, pas une cloche, pas un cri, pas m��me un de ces bruits de charronnage tintant si clair dans l'atmosph��re vibrante du Midi.
Pourtant les premi��res maisons du faubourg se levaient au bout du chemin; un moulin d'huile, l'octroi cr��pi �� neuf. Nous arrivions.
Et notre stupeur fut grande, �� peine engag��s dans cette longue rue caillouteuse, de la trouver abandonn��e, les portes et les fen��tres closes, sans chien ni chat, enfants ni poules, ni personne, le portail enfum�� du mar��chal ferrant d��garni des deux roues qui le flanquent �� l'ordinaire, les grands rideaux de treillis dont les seuils tarasconnais s'abritent sont les mouches, rentr��s, disparus comme les mouches elles-m��mes et l'exquise bouff��e de soupe �� l'ail que toutes les cuisines auraient d? exhaler �� cette heure- l��.
Tarascon ne sentant plus l'ail, imagine-t-on une chose pareille!
Mistral et moi, nous nous regardions ��pouvant��s; et, vraiment, il y avait de quoi. S'attendre aux rugissements d'un peuple en d��lire, et trouver le silence de mort de cette Pomp��i!
En ville, o�� nous pouvions mettre un nom sur tous les logis, sur toutes les boutiques famili��res �� nos yeux depuis l'enfance, cette impression de vide et d'abandon devint encore plus saisissante. Ferm��e, la pharmacie B��zuquet de la placette, l'armurier Costecalde ferm�� pareillement, et la confiserie R��buffat, ?�� la renomm��e des berlingots?. Disparus, les panonceaux du notaire Cambalalette, et l'enseigne sur toile peinte de Marie-Joseph- Spiridion Excourbani��s, fabricant de saucisson d'Arles; car le saucisson d'Arles s'est toujours fait �� Tarascon, et je signale en passant ce grand d��ni de justice historique.
Mais enfin qu'��taient devenus les tarasconnais?
Notre break roulait sur le cours, dans l'ombre ti��de des platanes espa?ant leurs troncs blancs et lisses, o�� plus une cigale ne chantait: envol��es aussi les cigales! Et devant la maison de Tartarin, toutes ses persiennes ferm��es, aveugle et muette comme ses voisines, contre le mur bas du fameux jardinet, plus une caisse de cirage, plus un petit d��crotteur pour vous crier: ?Cira, moussu??
L'un de nous dit: ?Il y a peut ��tre le chol��ra.?
�� Tarascon, en effet, quand vient une ��pid��mie, l'habitant d��m��nage et campe sous des tentes �� bonne distance de la ville, jusqu'�� ce que le mauvais air soit pass��.
Sur ce mot de chol��ra, dont tous les proven?aux ont une peur farouche, le cocher enleva ses b��tes, et quelques minutes apr��s nous stoppions �� l'escalier de la gare, perch��e tout en haut du grand viaduc qui longe et domine la ville.
Ici nous retrouvions la vie, des voix humaines, des visages. Dans l'entrecroisement des rails, les trains se succ��daient sans relache, mont��e, descente, haltaient avec des claquements de porti��res, des appels de station.
?Tarascon, cinq minutes d'arr��t..., changement de voiture pour N?mes, Montpellier, Cette...?
Tout de suite Mistral courut au commissaire de surveillance, vieux serviteur qui n'a pas quitt�� sa gare depuis trente-cinq ans:
?Eh! b��, ma?tre Picard... Et les Tarasconnais? O�� sont-ils? Qu'en avez-vous fait??
L'autre, tout surpris de notre ��tonnement:
?Comment!... Vous ne savez pas? D'o�� sortez-vous donc?... Vous ne lisez donc rien?...Ils lui ont fait pourtant assez de r��clame, �� leur ?le de Port-Tarascon... Eh! oui, mon bon...Partis, les Tarasconnais... Partis coloniser, l'illustre Tartarin en t��te... Et tout emport�� avec eux, d��m��nag�� jusqu'�� la tarasque!?
Il s'interrompit pour donner des ordres, s'activer le long de la voie, tandis qu'�� nos pieds dans le couchant, nous regardions monter les tours, les clochers et clochetons de la ville abandonn��e, ses vieux remparts dor��s par le soleil d'un superbe ton de croustade et donnant l'id��e exact d'un pat�� de b��casses dont il ne resterait plus que la cro?te.
?Et dites-moi, monsieur Picard?, demanda Mistral au commissaire qui revenait vers nous avec un bon sourire, pas autrement inquiet de savoir Tarascon sur les chemins...
?Y a-t-il longtemps de cette ��migration?
-- Six mois.
-- Et l'on a pas de leurs nouvelles?
-- Aucune.?
P��ca?re! Quelque temps apr��s nous en avions des nouvelles, d��taill��es, pr��cises, assez pour me permettre de vous conter l'exode de ce vaillant petit peuple �� la suite de son h��ros, et les formidables m��saventures qui les assaillirent.
* * *
Pascal a dit: ?Il faut de l'agr��able et du r��el; mais il faut que cet agr��able soit lui-m��me pris du vrai.? J'ai tach�� de me conformer �� sa doctrine dans cette histoire de Port-Tarascon.
Mon r��cit est pris du vrai, fait avec des lettres d'��migrants, le ?m��morial? du jeune secr��taire de
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