se venger. Il attendit durant plusieurs années une occasion favorable. Elle arriva enfin. Un soir, le mari délaissé rencontra sa femme à quelques milles du fort. Il lui arracha le nez avec ses dents [9], lui creva un oeil, et, après lui avoir fait plusieurs blessures hideuses aux seins et à différentes parties du corps, il l'abandonna toute sanglante sur le théatre de cette boucherie.
[Note 9: Cette coutume est fort en usage, dans de telles circonstances parmi le? Indiens de l'Amérique septentrionale.]
On rapporta l'étoile-Blanche à la factorerie. Elle passa de la chambre du gouverneur à la cuisine. Cependant, M. Mac Carthy continua de pourvoir aux besoins de leur enfant.
Doué d'une facilité d'imitation extraordinaire, James fit des progrès rapides dans ses études, quoique les horizons de son intelligence fussent assez bornés. Mais il était flatteur, insinuant, et, de plus, il possédait quelques arts d'agrément; il obtint à vingt ans des succès marqués à la cour du Gouverneur-Général du Canada. C'est alors qu'il fit la connaissance d'Alfred Robin et se lia d'amitié avec lui.
Nature franche et loyale, Robin ne se doutait pas qu'il réchauffait une vipère à son foyer.
James s'éprit de Victorine; il eut l'audace de l'entretenir de son amour. La jeune femme aimait trop son mari pour lui causer la plus légère contrariété. Elle commit une faute que commettent bien souvent les personnes de son sexe; et, au lieu de prévenir Alfred des intentions perfides de Mac Carthy, elle se fit un scrupule de les lui dévoiler, tout en mena?ant ce dernier de le faire s'il ne cessait de la persécuter par ses déclarations.
Rappelé à la factorerie par son père, James ne se sentait pas disposé à obéir. Mais le départ de madame Robin pour l'Angleterre et d'autres motifs que nous ne tarderons pas à faire conna?tre, l'y décidèrent.
On peut juger de sa stupéfaction, de sa joie, en la voyant arriver au fort, alors qu'il la croyait morte. Sa passion pour elle se ralluma plus ardente, plus impérieuse que jamais. Oubliant la scène terrible qu'il venait d'avoir avec son père et qui peut-être avait tué celui-ci, il se disait, la voix palpitante, l'oeil humide de luxure:
--Oh! cette fois, je la tiens, elle sera à moi.... à moi seul, et ses enivrantes caresses me paieront de tous les dédains dont elle m'a abreuvé!....
Comme il savourait ses voluptueuses espérances, on gratta à la porte.
--Qui est là? demanda-t-il, en saisissant le revolver posé sous son traversin.
--Alanck-ou-a-bi, fut-il répondu.
--Vous êtes seule?
--Je suis seule.
Après cette réplique, James sauta à bas de son lit, et alla tirer te verrou.
La porte s'ouvrit, et une Indienne dont le visage couturé de profondes cicatrices était horrible à voir, parut dans l'entrebaillement.
CHAPITRE IV
L'éTOILE-BLANCHE
Elle était jeune encore, et, par une amère ironie, avait conservé des vestiges d'une beauté rare, au milieu des affreux ravages que le ressentiment de son mari avait faits sur sa face. Grand, pur et d'un ovale parfait, l'oeil qui lui restait faisait doublement regretter celui qu'on lui avait arraché. Sa bouche avait d? être rose, d'un dessin aimable, un nid à baisers, mais les lèvres tourmentées et lacérées, comme si on les e?t tortillées en forme de vis avec une tenaille de fer, ne montraient plus que des lambeaux informes et charnus, qui servaient de cadre à quelques dents d'une blancheur éburnéenne, à demi brisées.
Elle portait le costume des squaws septentrionales: un chaud bonnet de peau de cygne, sur lequel était étendue une couverte brune, à liséré jaune, en un tissu de poil de daim et de buffle.
A la vue de son fils, le regard d'Alanck-ou-a-bi prit une expression de tendresse inexprimable.
Les siens, au contraire, s'armèrent de dureté.
James, dans son orgueil insensé, ne pouvait supporter l'idée qu'il devait sa naissance à une Indienne: il maudissait ouvertement la pauvre femme qui lui avait donné le jour.
Dès qu'elle fut entrée, il referma la porte et s'assit au bord de son lit, tandis que sa mère s'accroupissait sur les talons devant lui.
La couverte de la squaw, s'entr'ouvrant alors, laissa voir une tunique élégamment brodée et un fort joli collier de coquillages; car, par un reste de coquetterie féminine, la malheureuse créature avait conservé du go?t pour la parure et les colifichets brillants.
--Comment avez-vous laissé cette dame? demanda James.
--Elle voyage dans le monde des esprits, répondit Alanck-ou-a-bi d'une voix singulièrement harmonieuse, quoique le manque de dents la fit bégayer un peu.
--C'est-à-dire qu'elle dort, reprit James.
L'Indienne inclina affirmativement sa tête.
--Vous l'avez placée dans la chambre que je vous ai désignée!
--Oui.
--Et vous en avez pris la double clé?
--Cette femme blanche est bien belle; mon fils l'aime-t-il donc? interrogea Alanck-ou-a-bi, sans répondre à la question.
--Cela ne vous regarde pas, repartit sèchement James; où est la clef de sa chambre, répondez-moi?
--La voici, dit-elle d'un ton mélancolique, mais résigné, en lui tendant une clé qu'elle tenait cachée sous sa couverte.
Le jeune homme serra vivement l'objet dans sa
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.