Poignet-dacier | Page 4

Émile Chevalier
je pourrais prouver par cent exemples qu'elle employa une foule de moyens hautement criminels pour arracher aux malheureux Peaux-Rouges les objets de sa convoitise. Afin de n'en citer qu'un, je rapporterai cette phrase des Ordres et Instructions donnés à Samuel Hearne, par la Compagnie de la baie d'Hudson, lors de l'expédition de ce capitaine à la rivière de la Mine de Cuivre, le 6 novembre 1769:
[Note 5: ?Autrefois, les ?les de Cuba et des Lukayes avaient plus de six cent mille habitants. Elles n'en ont pas présentement vingt. Bartholomeo de Las Gazas, digne évêque de Chiapa, nous apprend que dans l'?le Hispaniola, appelée aujourd'hui Saint-Domingue, de trois millions d'Indiens il n'en restait plus de son temps. Ils en ont tué, dit-il, près de QUINZE millions en terre ferme. ?Ils ne tiennent aucun compte de leurs ames, qui sont immortelles comme les n?tres, non plus que si ces pauvres Indiens n'étaient que des bêtes.?
?Un Espagnol, interrogé comment il instruisait ces pauvres Indiens, répondit: Que los dava al diablo, loque bastave per ello C'est-à-dire: Je les donne au diable, c'est assez pour eux. Quand ils les pendaient par douzaines, ils disaient que c'était en l'honneur de Notre-Seigneur et des douze Ap?tres..... ?Nous avons vu, dit l'évêque des Indes Occidentales, dix grands royaumes plus grands que n'est l'Espagne, et beaucoup plus peuplés, être réduits en solitude par les cruautés et l'horrible boucherie qu'ils y ont exercées.?--Nouveaux Voyages dans l'Amérique septentrionale, par M. Bossu An. MDCCLXXVII.]
?2o Nous vous avons fait pourvoir, vous et vos compagnons, des objets que nous avons jugé vous être nécessaires; et il y a été ajouté par notre ordre différentes marchandises pour être distribuées en forme de présents seulement aux Indiens étrangers que vous rencontrerez, après avoir fumé le calumet de paix avec leurs chefs, à l'effet de vous concilier leur amitié. Vous ne manquerez pas de les exciter à porter la guerre chez leurs voisins, AFIN DE SE PROCURER DES FOURRURES ET AUTRES ARTICLES DE COMMERCE, en les assurant qu'on leur en paiera un très-bon prix à la factorerie de la Compagnie [6].?
[Note 6: Voyage de Samuel Hearne, du Fort du Prince-de-Galles, dans la baie d'Hudson, à l'Océan Nord.--Introduction.]
Tout commentaire palirait devant la sinistre éloquence de ces Instructions.
Je poursuis donc mon sujet.
Le fort du Prince-de-Galles est un des postes les plus septentrionaux que possède la Compagnie de la baie d'Hudson sur ses immenses territoires. On y fait principalement la traite des pelleteries provenant des régions polaires.
Cette importante factorerie est parfaitement défendue par des bastions et des courtines en pierre de taille, garnis de lourdes couleuvrines. Quelques canons d'un fort calibre ont même été braqués aux angles.
Dans l'enceinte de la forteresse s'élève la maison du gouverneur, les batiments affectés au commis, les magasins pour les fourrures et les articles d'échange, la poudrière, les ateliers de construction, et le vaste batiment destiné aux trappeurs, voyageurs, coureurs des bois, aventuriers de toutes origines, je pourrais dire de toutes couleurs, qui, chaque jour, y viennent chercher un abri.
La plupart sont des gens au service de la Compagnie; mais bon nombre n'ont de commun avec elle que l'hospitalité temporaire qu'elle leur accorde.
Autour du fort, on voit des tentes dressées par les Indiens descendus du nord pour troquer, contre des armes, des ustensiles de ménage, des outils, des colifichets et trop souvent de l'eau-de-feu,--le lait des blancs, comme ils disent fréquemment,--les produits de leur chasse et de leur pêche.
Des parcs, protégés par des palissades, se montrent aussi ?a et là, et, au bord de la mer, un pont en bois a été jeté sur une des bouches de la rivière Churchill.
Du reste, partout où porte l'oeil, la plaine est nue, triste, couverte de rares bruyères, maigres mélèzes, genévriers on saules nains, quand la neige ne la revêt pas d'un blanc suaire. Jadis des forêts magnifiques l'ombrageaient mais ces forêts on les a abattues, sans mesure, sans préoccupation de l'avenir, et aujourd'hui les gens du fort sont obligés d'aller chercher leur combustible à trente et quarante milles à l'intérieur des terres. Ils y emploient les deux ou trois mois de temps chaud que laisse l'inclémence de cette haute latitude; car, du 1er septembre au 1er juillet et même plus tard, la baie d'Hudson est fermée par les glaces, tandis que son littoral reste enseveli sous une couche de neige dont l'épaisseur dépasse parfois six pieds.
Horrible région que celle-là! épouvantable en hiver! Les pierres craquent et volent en pièces. Les arbres se gercent; ils éclatent avec un bruit semblable à des détonations d'armes à feu. L'alcool gèle, le mercure se fige!
Ce qui n'empêche pas la gaieté de régner dans le fort du Prince-de-Galles, alors même que le thermomètre marque 40° Réaumur,--mais quand le manque de provisions ne vient pas s'allier au froid, pour faire la guerre à l'homme.
Aussi, comme la chasse et la pêche avaient été des
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