davantage, et pour ceux dont la mémoire est si bien garnie, il n'est pas difficile d'en composer de nouveaux. Il faut d'ailleurs savoir que, dans les contrées dont je parle, les paysans n'ont ni les mêmes soucis, ni les mêmes besoins que dans les états de l'Europe, et qu'ils mènent une vie assez semblable à celle que les po?tes décrivent sous le nom de l'age d'or...?
L'auteur cite ensuite des exemples de pièces burlesques ou?satiriques,--genre qu'il n'a point admis dans sa collection,--qui ont été composées par des gens à lui connus. Elles sont faites à l'occasion de circonstances de la vie ordinaire et manquent d'importance générale, ce qui fait qu'elles ne se répandent point au dehors et meurent bient?t là où elles sont nées. Voici quelques-unes de ces circonstances: les noces, quand il s'y produit quelque incident comique, par exemple quand les invités se prennent de querelle et rouent de coups l'un d'entre eux; quand une femme quitte son mari; surtout quand il y a brouille dans un ménage, ou que des gens mariés à la suite d'un rapt (otmitza)[4] restent sans enfants. Et M. Vouk, à propos des querelles entre gens de noce, ajoute avec quelque na?veté: ?S'il y avait mort d'homme, en pareil cas, on ne ferait pas une chanson comique.? Tout cela, il faut l'avouer, nous reporte un peu loin de l'age d'or. Mais c'est peut-être ici le lieu de faire observer que la na?veté dont je parle dans ces pages est une qualité de l'esprit, des esprits jeunes, et n'a rien à faire avec la candeur ou l'innocence des moeurs.
?Que l'on ne puisse, dit-il ailleurs, conna?tre les auteurs des poésies populaires, même les plus récentes, il n'y a rien là qui doive étonner; mais ce qui a lieu de surprendre, c'est que dans le peuple personne n'attache d'importance à composer des vers, et que, loin d'en tirer vanité, le véritable auteur d'un chant se défend de l'être, et prétend l'avoir appris de la bouche de quelque autre. Il en est ainsi des poésies les plus récentes, de celles dont on conna?t parfaitement le lieu d'origine, et qui roulent sur un événement de fra?che date; car à peine quelques jours se sont-ils écoulés, que personne ne songe plus à leur provenance.
?Quant aux poésies domestiques, il s'en compose peu de nouvelles aujourd'hui, et elles ne se produisent plus guère que sous la forme de dialogues improvisés entre filles et gar?ons.?
Et plus loin: ?Les poésies héro?ques sont mises en circulation principalement par les aveugles, les voyageurs et les ha?douks. Les aveugles vont mendiant de porte en porte, ils fréquentent les assemblées près des monastères et des églises, ainsi que les foires, et partout ils chantent. De même, quand un voyageur re?oit l'hospitalité dans une maison, il est d'usage, le soir, de lui présenter une _gouslé_, en l'invitant à chanter, et dans les khans et les cabarets (_méhanas_), il s'en trouve pour le même usage. Quant aux ha?douks, dans leurs retraites d'hiver, ils passent la nuit à boire et à chanter, le plus souvent les exploits de leurs confrères.?
M. Vouk entre ensuite dans des détails sur la manière dont il a recueilli les pesmas. Il raconte l'étonnement et la défiance qu'il inspirait, soit aux femmes, soit surtout aux chanteurs de profession, dont la jalousie de métier, excitée par la crainte de perdre un gagne-pain, ne cédait qu'à de copieuses libations d'eau-de-vie[5]. Mais au sujet de ceux-ci, il se plaint qu'il soit si rare d'en trouver un qui fasse son métier avec un peu d'intelligence et sans gater la pesma. Il fallait d'ordinaire l'entendre de la bouche de plusieurs pour l'avoir complète, et avec l'exactitude et dans l'ordre convenables.
II
Comme on vient de le voir, les pesmas serbes sont le travail de plusieurs siècles, sont l'oeuvre collective d'une race tout entière, du génie et des moeurs de laquelle elles fournissent en même temps l'expression, d'autant plus fidèle et plus authentique, que toute influence, toute imitation extérieures, sont restées étrangères à leur composition. Le nom de nationales_ leur conviendrait donc mieux que celui de _populaires, mot qui, dans notre état social si raffiné, a pris une acception particulière, et est devenu presque le synonyme de vulgaire, de trivial. La poésie populaire, chez nous, ce sont uniquement les chansons grossières du paysan, de l'ouvrier, de l'ignorant enfin, c'est-à-dire de l'homme qui, étranger à la langue polie, à la connaissance de l'histoire et de l'antiquité, se trouve, par cette ignorance même, exclu de la vie intellectuelle et comme ravalé dans une condition inférieure; poésie informe, boiteuse, et d'ailleurs peu abondante. Car je ne parle pas des oeuvres soi-disant populaires fabriquées par des messieurs. C'est ordinairement le plus détestable des pastiches.
Chez les Serbes, rien de tout cela.
Ce n'est pas que les lumières y soient plus répandues; l'ignorance y est, au contraire, universelle, absolue; la société y forme
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