Poésies choisies de André Chénier | Page 6

André Chénier
poète dans sa cellule.
C'est en prison qu'il écrit l'_Ode à Marie-Joseph_, rangé en politique
dans le camp adverse, cet adieu si triste qui sonne comme une rupture,
où il dit à ce frère:
...mes amis, ma famille,
Sont tous les opprimés, ceux qui versent des
pleurs.
C'est en prison qu'il compose ses _Ïambes_ vengeurs (pp. 124-7) et sa
touchante Jeune Captive (p. 120), inspirée par une de ses compagnes
d'infortune, la duchesse de Fleury, née de Coigny.
Nous approchons maintenant du triste dénouement. Les prisons
regorgeant de monde, le Comité de sûreté générale découvre--ou
invente--la 'Conspiration des prisons,' vaste complot d'évasion. C'était
l'occasion pour la justice d'être expéditive. André Chénier comparut le
7 thermidor devant le tribunal révolutionnaire avec vingt-six autres
victimes, dont Roucher. L'acte d'accusation--tellement était grande

l'incurie de cette soi-disant justice--reprochait à André des faits
concernant son frère Sauveur, également arrêté et interné dans une
autre prison! Quand on se fut aperçu de cette confusion, on ne prit
même pas la peine de rayer de l'acte d'accusation d'André ce qui
s'appliquait à Sauveur. André Chénier fut condamné et exécuté le soir
même, à six heures, sur la place du Trône[1]--et non sur la place de la
Révolution comme A. de Vigny le dit par erreur dans son roman de
Stello. Sa mort précéda de vingt-quatre heures celle des frères Trudaine.
Deux jours plus tard Robespierre tombait et les exécutions cessaient.
[Footnote 1: Pendant la Terreur cette place prit le nom de place du
Trône-Renversé, et elle fut le théâtre de nombreuses exécutions. On
l'appelle actuellement la place de la Nation.]
II [A]
L'oeuvre d'André Chénier resta inconnue jusqu'en 1819, à l'exclusion
de quelques poèmes ou fragments de poèmes publiés successivement
en 1794[2], 1801[3], 1802[4], 1814-16[5] et 1816[6].
En 1819 enfin, H. de Latouche[7], à qui Daunou, qui les tenait de
Marie-Joseph Chénier, mort en 1811, avait confié une partie des
manuscrits, donna la première édition, forcément incomplète, infidèle
même, puisque l'éditeur, qui était lui-même un poète, faisait çà et là des
retouches, discrètes d'ailleurs, ainsi que des suppressions et des
coupures.
La critique de 1819 fut unanime à reconnaître en Chénier un poète. Elle
fut unanime aussi à reprocher à ce poète ses innovations en langue et en
versification.
Chénier a, selon Népomucène Lemercier[8], des 'incorrections sans
nombre.' Il supprime les articles et les liaisons grammaticales. Il
'dénature le sens des mots.' Il embarrasse sa phrase de 'trop d'incises' et
'tourmente ses périodes.'
[Footnote A: The notes constitute a Bibliography in order of dates, of
which only those with reference numbers relate to the text of the

Introduction.]
[Footnote 2: LA JEUNE CAPTIVE, publiée dans la _Décade
philosophique_ du 20 nivôse, an iii (décembre 1794).]
[Footnote 3: LA JEUNE TARENTINE, publiée par le Mercure de
France du 1er germinal, an ix.]
[Footnote 4: ACCOURS, JEUNE CHROMIS... et SOUVENT LAS
D'ÊTRE SEUL... dans le _Génie du Christianisme_ de Chateaubriand,
note 15 des _Éclaircissements_, 1802.]
[Footnote 5: FRAGMENTS DE L'AVEUGLE dans une note des
_Élégies_ de Millevoye, 1814-16.]
[Footnote 6: FRAGMENTS DU MENDIANT dans _Mélanges
littéraires, composés de morceaux inédits de Diderot, Caylus, Thomas,
Rivarol_, ANDRÉ CHÉNIER, par Fayolle, Paris, Pouplin, 1816.]
[Footnote 7: OEUVRES POÉTIQUES D'ANDRÉ CHÉNIER, publiées
par H. de Latouche. Paris, Beaudoin frères, Foulon et Cie, 1819. (A la
fin du volume Latouche donne MÈLANGES DE PROSE, articles
publiés du vivant de l'auteur, et quelques morceaux et fragments
posthumes.) (Réimpressions en 1820 et 1822.)]
[Footnote 8: _Revue encyclopédique_, octobre 1819, compte rendu par
Népomucène Lemercier.]
Il fait une 'imitation outrée des formules et des tours antiques.' Il
multiplie les césures et rompt ses vers par de brusques enjambements.
Et toute cette 'témérité systématique' vient de ce qu'il est 'agité du désir
d'innover partout.' Il a d'ailleurs 'des beautés éparses mais éclatantes,'
des 'expressions trouvées,' une 'tendance à traduire les idées en figures,'
enfin un 'abandon, un naturel exquis.' Détail caractéristique, Lemercier
admire la périphrase:
Dans les douze palais où résident les mois,

comme 'une élégante circonlocution.'
Incorrections de style et de construction, déplacement des césures, voilà
les défauts que déplore aussi Charles Loyson[9]. Son admiration va aux
élégies et aux idylles. C'est là seulement que l'on trouve ce que le talent
d'André 'a de beau, d'heureux et d'original,' c'est là seulement qu'il se
montre 'vrai, naturel et touchant.'
[Footnote 9: _Lycée Français_, tome ii, 1819, quatre articles par
Charles Loyson.]
Les 'imperfections de style et la versification brisée' frappent également
Raynouard[10]. André Chénier 'décline les participes présents.' Il
'donne aux adjectifs des régimes inusités.' Il a des métaphores
incohérentes. La césure de son vers est brisée 'd'une manière qui
choque l'oreille et le goût.' De ces coupes pourtant il a parfois tiré 'de
très saisissants effets,' mais il en fait une habitude presque constante.
Raynouard admire fort le Jeune Malade et reconnaît que Chénier, qui 'a
visé à l'originalité' dans
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