habitent la région des hautes branches. Les mélèzes et les grenadiers profilaient leurs formes rouges et jaunes et jetaient une teinte de gaieté sur cet océan de verdure; le parfum enivrant des fleurs éphémères embaumait l'atmosphère en délire; bien haut dans les airs un grand oiseau solitaire planait, majestueux et presque immobile; partout régnaient le calme, la sérénité et la paix des régions éthérées. Ceci se passe en octobre 1900, à Hope-Canyon, et nous sommes sur un terrain de mines argentifères dans la région d'Esméralva. Solitaire et reculé, l'endroit est de découverte récente; les nouveaux arrivés le croient riche en métal (il suffira de le prospecter pendant un an ou deux pour être fixé sur sa valeur). Comme habitants, le camp se compose d'environ deux cents mineurs, d'une femme blanche avec son enfant, de quelques blanchisseurs chinois, d'une douzaine d'Indiens plus ou moins nomades, qui portent des vêtements en peaux de lapin, des chapeaux de liège et des colliers de bimbeloterie. Il n'y a ici ni moulins, ni église, ni journaux. Le camp n'existe que depuis deux ans et la nouvelle de sa fondation n'a pas fait sensation; on ignore généralement son nom et son emplacement.
Des deux c?tés de Hope-Canyon, les montagnes se dressent à pic, formant une muraille de trois mille pieds, et la longue file des huttes qui s'échelonnent au fond de cet entonnoir ne re?oit guère qu'une fois par jour, vers midi, la caresse passagère du soleil. Le village s'étend sur environ deux milles en longueur et les cabanes sont assez espacées l'une de l'autre. L'auberge est la seule maison vraiment organisée; on peut même dire qu'elle représente la seule maison du camp. Elle occupe une position centrale et devient, le soir, le rendez-vous de la population. On y boit, on y joue aux cartes et aux dominos: il existe un billard dont le tapis couturé de déchirures a été réparé avec du taffetas d'Angleterre. Il y a bien quelques queues, mais sans procédés; quelques billes fendues qui, en roulant, font un bruit de casserole fêlée et ne s'arrêtent que par soubresauts, et même un morceau de craie ébréchée; le premier qui arrive à faire six carambolages de suite peut boire tant qu'il veut, aux frais du bar.
La case de Flint Buckner était au sud, la dernière du village; sa concession était à l'autre extrémité, au nord, un peu au-delà de la dernière hutte dans cette direction. Il était d'un caractère cassant, peu sociable, et n'avait pas d'amis. Ceux qui essayaient de frayer avec lui ne tardaient pas à le regretter et lui faussaient compagnie au bout de peu de temps. On ne savait rien de son passé. Les uns croyaient que Sammy Hillyer savait quelque chose sur lui: d'autres affirmaient le contraire. Si on le questionnait à ce sujet, Sammy prétendait toujours ignorer son passé. Flint avait à ses gages un jeune Anglais de seize ans, très timide et qu'il traitait durement, aussi bien en public que dans l'intimité. Naturellement, on s'adressait à ce jeune homme pour avoir des renseignements sur son patron, mais toujours sans succès. Fetlock Jones (c'est le nom du jeune Anglais) racontait que Flint l'avait recueilli en prospectant une autre mine, et comme lui-même n'avait en Amérique ni famille ni amis, il avait trouvé sage d'accepter les propositions de Buckner; en retour du labeur pénible qui lui était imposé, Jones recevait pour tout salaire du lard et des haricots. C'était tout ce que ce jeune homme voulait raconter sur son ma?tre.
Il y avait déjà un mois que Fetlock était rivé au service de Flint; son apparence déjà chétive pouvait inspirer de jour en jour de sérieuses inquiétudes, car on le voyait dépérir sous l'influence des mauvais traitements que lui faisait subir son ma?tre. Il est reconnu, en effet, que les caractères doux souffrent amèrement de la moindre brutalité, plus amèrement peut-être que les caractères fortement trempés qui s'emportent en paroles et se laissent même aller aux voies de fait quand leur patience est à bout et que la coupe déborde. Quelques personnes compatissantes voulaient venir en aide au malheureux Fetlock et l'engageaient à quitter Buckner; mais le jeune homme accueillit cette idée avec un effroi mal dissimulé et répondit qu'il ne l'oserait jamais.
Pat Riley insistait en disant:
--Quittez donc ce maudit harpagon et venez avec moi. N'ayez pas peur, je me charge de lui faire entendre raison, s'il proteste.
Fetlock le remercia les larmes aux yeux, mais se mit à trembler de tous ses membres en répétant qu'il n'oserait pas, parce que Flint se vengerait s'il le retrouvait en tête à tête au milieu de la nuit. ?Et puis, voyez-vous, s'écriait-il, la seule pensée de ce qui m'arriverait me donne la chair de poule, M. Riley.?
D'autres lui conseillaient: ?Sauvez-vous, nous vous aiderons et vous gagnerez la c?te une belle nuit.? Mais toutes les suggestions
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