sur le seuil de la maison, inqui��te, comme toujours, de l'absence de sa ma?tresse. Le plus souvent, le docteur prenait place �� table, et, �� l'heure du caf��, Dieu sait si le monde ��tait r��form�� et l'humanit�� heureuse!
?Tu verras tout cela, toi, disait-il en caressant la joue de son filleul, qui luttait contre le sommeil; le progr��s...?
A ce mot, Gaston fermait les yeux, croyant les ouvrir, et se trouvait transport�� sur la place du march��. L'��glise, la vieille tour, les deux ��cussons du notaire et l'��norme rasoir qui servait d'enseigne au coutelier lui apparaissaient noy��s dans une lumi��re ��blouissante. Cinq ou six soleils brillaient dans le ciel, et les passants, par la mise et les traits, ressemblaient �� Mademoiselle, �� Catherine ou au docteur. C'est ainsi que l'enfant voyait en r��ve le monde perfectionn�� de son parrain; aux hommes devenus bons, il ne pouvait pr��ter une autre forme que celle des ��tres d��vou��s qui ne savaient que lui sourire depuis qu'il ��tait n��.
Un soir de l'automne de 1842, un vent furieux, apre, glacial, ��branlait les maisons de Houdan et pr��sageait le retour de l'hiver. Neuf heures sonnaient; Catherine tricotait pr��s de Mademoiselle; Gaston, ��tabli sur une chaise, lisait �� haute voix un conte de Berquin. Le petit gar?on interrompait parfois sa lecture pour ��couter la bise siffler dans la chemin��e ou le bruit de la girouette, qui repr��sentait un chasseur visant un gibier imaginaire. Catherine levait alors les yeux, mais sa ma?tresse, perdue dans une r��verie, semblait ne pas s'apercevoir de l'interruption. C'est que, l'ame ��mue, elle pr��tait l'oreille aux plaintes d��sesp��r��es de la rafale, qui tant?t murmurait avec une voix plaintive et tant?t rugissait comme irrit��e.
?Catherine, dit Gaston �� voix basse en posant son livre sur les genoux de la vieille bonne, qui est le plus fort, le vent ou les arbres?
--Le vent, monsieur Gaston, car il d��racine jusqu'aux ch��nes.
--Comment peut-il ��tre aussi fort, puisqu'on ne le voit pas?
--On ne voit pas Dieu qui pourtant est plus fort que le vent, dit Catherine en introduisant une de ses longues aiguilles sous sa coiffe.?
L'enfant allait reprendre sa lecture; mais il releva de nouveau la t��te:
?Pourquoi le vent fait-il semblant de rire et de pleurer? demanda-t-il; ��coute...
--Il pleure lorsqu'il passe sur le cimeti��re, r��pondit la Normande, qui se signa.
--Et pourquoi rit-il??
En ce moment, le marteau de la porte retentit.
Mademoiselle tressaillit; ses yeux inquiets interrog��rent ceux de Catherine, qui restait bouche b��ante.
?On dirait...?, murmura-t-elle sans pouvoir achever.
Le marteau r��sonna de nouveau; la servante s'��lan?a: il y eut un grand bruit de voix, puis Catherine reparut pr��c��dant M. Alexis de La Taillade et son ��pouse, la propri��taire du Coeur-Enflamm��.
III
LA PROPRI��TAIRE DU COEUR-ENFLAMM��.
A la vue de son fr��re, Mademoiselle se rapprocha de Gaston; ses l��vres palirent, ses yeux se remplirent de larmes, et son bras droit s'��tendit vers la t��te boucl��e de l'enfant, comme pour le prot��ger. Le soudard n'avait gu��re chang�� depuis son d��part. Sa face niaise, bouffie, rugueuse, marbr��e de plaques rouges, apparaissait au-dessus d'un col noir ��raill��. Il ��tait v��tu d'un pantalon de drap clair et d'une de ces longues redingotes dites �� la propri��taire, dont les Allemands perp��tuent la mode �� Paris. D'une main, il tenait gauchement un chapeau gris, de l'autre la fameuse pipe noire dans le fourneau de laquelle plongeait un de ses doigts. Il salua militairement et demeura immobile, tandis que sa femme s'avan?ait de quelques pas.
?C'est ton m?me? s'��cria-t-elle en d��signant Gaston, il est gentil.?
La nouvelle marquise de La Taillade, qui pouvait avoir une quarantaine d'ann��es, en repr��sentait au moins cinquante. C'��tait une grande femme s��che, anguleuse, �� la peau jaune, aux yeux de fouine, et dont une dent malvenue entr'ouvrait les l��vres minces. Coiff��e d'un de ces bonnets de laine si fort �� la mode vers 1840, elle portait, suspendu au bras gauche, l'indispensable cabas d'alors. Drap��e dans un chale de laine, ��trangl��e dans une robe d'indienne, chauss��e de socques qui la grandissaient encore, elle n'avait rien d'avenant, en d��pit du sourire qu'elle ��bauchait �� l'adresse de sa belle-soeur. En somme, le noble couple, dont l'��cusson portait une fleur de lis, ressemblait, �� s'y m��prendre, �� ces chanteurs ambulants dont le type primitif a disparu comme les socques, les bonnets de laine et les cabas.
Tout en continuant la grimace qui lui servait de sourire, Mme de La Taillade se pencha vers Gaston. L'enfant recula et se tapit derri��re sa tante, toujours immobile. Mademoiselle sentait son coeur bondir et ne pouvait parler. Elle contemplait son ��trange belle-soeur avec une surprise douloureuse, et les deux larmes suspendues �� ses cils coul��rent enfin. Devenue ��carlate �� cette vue, Catherine retroussa ses manches, frotta avec ��nergie ses bras nus, fit craquer ses doigts, tandis que son regard se promenait de M. de La Taillade �� sa femme, puis s'arr��tait sur une ��norme paire de pincettes qui reluisait au coin
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