à la lueur de la bougie, me voilà, dans ma bibliothèque, cherchant ce gros livre que j'ai acheté, il y a cinq ans, lorsque je croyais encore à cet autre mensonge: le travail, pour avoir du génie,--comme si Prévost avait travaillé Manon, Diderot le Neveu, Voltaire Candide, Benjamin Adolphe, tous chefs-d'oeuvre griffonnés sans rature!--Et je découvre en effet dans ce dictionnaire les lignes suivantes: ?Amour. En physiologie, ensemble des phénomènes cérébraux qui constituent l'instinct sexuel. Il devient le point de départ d'actes intellectuels et d'actions nombreuses, variant suivant les individus et les conditions,--et souvent il est la source d'aberrations que l'hygiéniste, le médecin légiste et le législateur sont appelés à prévenir ou à interpréter.... Chez la plupart des mammifères et même quelquefois chez l'homme, l'instinct de destruction entre en jeu en même temps que l'instinct sexuel....?
Le plaisir que me causa cette phrase fut si vif que je cessai de souffrir, pour quelques minutes. Je me remis au lit, je soufflai ma bougie. Nouvelle insomnie, nouvelles pensées, mais tout impersonnelles celles-là, les pensées d'un docteur qui voit dans sa maladie un cas curieux et qui l'étudié. Oui, cette phrase est vraie du male originel, je le sens, et de moi aussi, qui en suis si loin. Etait-elle vraie du temps de la chevalerie et de l'amour dantesque? Etait-elle vraie du temps de Pascal et de son discours, de Racine et de ses tragédies? Evidemment non, et pas même du temps de Beyle?... L'homme des arrière-fins de civilisation rejoindrait il donc la brute primitive? J'ai si souvent entrevu cette idée, quand je songeais à l'étrange Europe où nous sommes en train de recommencer les grandes guerres des barbares, avec la science en plus!... L'amour moderne et l'amour sauvage seraient-ils donc la même chose, avec l'adultère, la prostitution et le sadisme--par-dessus le marché?... L'amour moderne?... Je n'eus pas plus t?t prononcé mentalement ces quatre syllabes--tout l'écrivain est là dedans--que j'aper?us une couverture jaune, et en belles lettres:
PHYSIOLOGIE DE L'AMOUR MODERNE PAR CLAUDE LARCHER
Ce titre me fascine, ma tête s'exalte. J'oublie le fenestrier Accard, le diplomatique Mayence, le jeune sycophante qui diffamait sa ma?tresse devant le Rubens, l'assassin Fauchery. J'oublie Casal, Machault, La M?le!... J'oublie Colette! Je m'enveloppe de ma fourrure pour ne pas avoir froid. Je me mets à la table de ma chambre à coucher, et j'écris dare-dare ce premier chapitre,--sur l'envers d'une demi-douzaine de lettres de faire part de mariage ou de mort. Si les autres m'amusent autant à griffonner, cela vaudra bien autant que d'aller chez Phillips m'entonner du gin, ou chez une Léda quelconque me ?friper la moelle?, comme il est dit dans le Succube.--Nous verrons bien.
* * * * *
MéDITATION II
LES EXCLUS
Je ne voudrais cependant pas ressembler au parasite prodigieux que nourrit si longtemps mon vieux camarade André Mareuil, et qui répondait au nom fatidique de M. Legrimaudet. Un jour qu'André, revenu de voyage, lui demandait:
--?Hé bien! monsieur Legrimaudet, comment vous êtes-vous porté durant mon absence??
--?Mais, pas mal,? répondit l'autre; ?sauf que j'ai eu une petite éruption, comme tout le monde.?
Et nous appr?mes par le docteur Noirot, qui soignait le malheureux gratis, que cette petite éruption avait été, tout simplement,--la gale! Chaque fois que je rencontre, dans un article ou dans un livre, quelqu'une de ces généralisations auxquelles les écrivains actuels se complaisent si volontiers,--prenant leur petite lèpre sentimentale pour une grande maladie humaine, et leur expérience de boulevard ou de brasserie pour de la vivante et large observation,--je me souviens du ?comme tout le monde? de feu Legrimaudet. Ne serait-ce pas le cas, encore à présent?
Cet Amour cruel et si mêlé de haine que j'ai éprouvé, que j'éprouve; cette passion si voisine du meurtre dont la formule de Nysten détermine l'origine sauvage, ne serait-ce pas, même aujourd'hui, une maladie rare, ou bien, en racontant mon coeur, raconterai-je le coeur de beaucoup de mes frères? Ah! cette question, tout écrivain peut toujours se la poser, à la fin de chaque livre, et qui lui répondra? C'est le grand doute du métier, cela, et qui devrait à jamais nous démontrer la vanité de la gloire. Qu'un lecteur nous dise, devant une de nos pages: ?Je n'ai jamais senti comme cela....? quelles raisons lui donner pour lui prouver qu'il est dans le faux de l'Ame humaine, et que nous sommes, nous, dans le vrai de cette même Ame? Le mieux est de rester simplement sincère et de nous attendre à déplaire à ceux qui ne sont pas de notre race. Je n'essaierai donc pas de savoir si, oui ou non, Nysten y a vu juste pour tous les hommes, ni même si, en croyant retrouver des émotions pareilles chez tant de mes contemporains, je suis la victime de ma jaunisse morale. Je ne discuterai pas un point de départ qui ne peut être légitime que pour mes collègues en sensibilité
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