est moral. C'est aux pères, aux mères et aux maris d'en défendre la lecture aux jeunes gar?ons et aux jeunes femmes, pour qui un ouvrage de médecine pourrait être dangereux, lui aussi. Ce danger-là ne nous regarda plus. Nous n'avons, nous, qu'à penser juste si nous pouvons et à dire ce que nous pensons. Pour ma part, je m'en tiens à ce mot que me disait un saint prêtre:--?Il ne faut pas faire de mal aux ames, et je suis s?r que la vérité ne leur en fait jamais....?
Je ne me charge pas de discuter les mille critiques qui peuvent être soulevées contre cette thèse. Je la crois juste, sans me dissimuler que la peinture de la passion offre toujours ce danger d'exercer une propagande. Rendre l'artiste responsable de cette propagande, c'est faire le procès non seulement à tel ou tel livre, mais à toute la littérature. Larcher, lui, me débitait ces arguments, si j'ai bonne mémoire, une nuit, et sur le seuil d'un de ces bars où il passait des heures d'une si étrange abjection à se griser systématiquement. C'était un peu, cette profession de foi, à cette heure et dans cet endroit, le symbole de toute cette Physiologie. Pour y revenir, ce même devoir d'exécuteur testamentaire m'imposait simplement de savoir si mon ami e?t jugé conforme à ses idées, vraies ou fausses, l'impression produite par son livre. Je dois avouer que j'en ai douté quand je me suis trouvé en présence de ceux de ses lecteurs qui m'ont dit:--??a devait être un rude viveur que votre ami Claude!... Est-ce que vous n'avez pas encore de c?té quelques petites polissonneries de sa fa?on?...? Ou encore:--?Vous savez, moi, j'aime les choses un peu montées. Et cette fois, ce n'est pas le poivre qui manque!...? Devant ces éloges d'une affreuse ironie pour un écrivain, chrétien d'inspiration et de pensée, sinon de pratique, je voyais la colère qui e?t saisi mon névropathe d'ami, et je me demandais avec angoisse si j'avais eu raison d'obéir à son désir d'une publicité posthume. Ce scrupule vis-à-vis de sa pauvre mémoire m'a empêché deux ans de donner en volume ces morceaux épars dans les numéros divers de la Vie. A parler franc, il ne portait, ce scrupule, que sur certains détails des toutes premières méditations,--qui me paraissaient compromettre, comme à plaisir, par des partis pris de plaisanterie brutale, ce qu'il y a dans les autres d'analyse sérieuse et douloureuse. ?Si Claude pouvait revoir ses épreuves,? me disais-je, ?avec deux ou trois coups de crayon il mettrait ces vingt malheureuses pages au point, et je me moquerais du prudhommisme et de la tartuferie des critiques sur le reste....? Aussi quelle joyeuse surprise lorsque je re?us de Mlle Claudia Larcher, la tante de mon malheureux ami, un dernier paquet de notes, retrouvées dans un coin de secrétaire où Claude les avait sans doutes cachées et oubliées! C'était un nouveau projet des deux premières méditations. Il y reste trop d'inutile cynisme. Du moins ce texte-ci ne permettra plus au lecteur de bonne foi de se méprendre sur l'intention de l'écrivain. D'autre part, les curieux de variantes, s'il en est pour ce livre incomplet, retrouveront à travers la collection de la Vie Parisienne les pages remplacées dans le volume par une version plus conforme au ton général de l'oeuvre. Sur la feuille de garde qui enveloppait les morceaux corrigés, Claude avait écrit: ?Ces brutalités sont nécessaires pour amener la Méditation IV, d'un si essentiel enseignement.? On jugera de cet enseignement et de cette nécessité. Quant à moi, quoiqu'il me f?t cruel de voir lancer à mon meilleur ami le reproche d'avoir spéculé sur le scandale, je n'aurais pas supprimé de mon chef une ligne d'un manuscrit qui m'était sacré. Je me réjouis qu'un hasard inattendu ait levé mes doutes, et je livre cet ouvrage, sans crainte, aujourd'hui, qu'on y voie autre chose--j'entends légitimement--qu'un recueil de remarques plus ou moins intéressantes sur un sujet dont les sages passent leur vie à dire: ?Il n'y a pas que cela dans le monde,? et à prouver par leur conduite qu'il n'y a pourtant que cela. Car cela, ce mystérieux et fatal charme d'amour,--heureux, c'est le paradis,--malheureux, c'est l'enfer. J'ajouterai, pour ne pas manquer au go?t de ce que mon ami appelait l'auto-ironie, qu'il en est de cet enfer comme de l'autre. ?Ce grand roi,? disait le prince de Ligne de Frédéric II, ?attachait beaucoup d'importance à sa damnation. Il en parlait trop....? J'ai souvent pensé à cette phrase en lisant les plaintes de Claude.--Que sa sincérité lui serve d'excuse!
P.B.
Rapallo, 3 octobre 1890.
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PHYSIOLOGIE DE L'AMOUR MODERNE
FRAGMENTS POSTHUMES D'UN OUVRAGE DE CLAUDE LARCHER
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MéDITATION I
NUIT éTRANGE D'Où EST SORTI LE PRéSENT LIVRE
J'avais dit beaucoup de mal de Colette dans la journée,--ce qui ne m'avait ni changé ni soulagé.
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