cruauté si elle sauve celui que je porte, le prince futur. Va leur dire qu'ils viennent, je suis leur Reine!
(Le Pauvre s'en va.)
Reine des Pauvres, Reine de ceux qui n'existent qu'en puissance et en volonté, Reine de ceux de demain, Reine de la forêt naissante qu'engraissera la pourriture des vieux troncs éventrés, Reine de la jeunesse, de la vie et de l'avenir! Peuple des misérables, mon coeur faible bat pour ta souffrance avec la force et la majesté d'un océan. Vogue sur l'océan de mon coeur, peuple triste, vogue parmi la tempête vers le continent que rougit la pourpre d'une aube adorable, vogue! Ta douleur est l'insubmersible radeau que nulle vague n'engloutira jamais,--d'entre l'écrasement des avalanches et d'écume elle resurgit, elle vogue vers l'avenir! Vogue, peuple des misérables!
Phébor, mon ma?tre, adieu! Père inconscient du futur, adieu! Présent qui as fécondé le lendemain, adieu!
Que se passe-t-il en moi? Quelle est la voix qui parlait en moi? Où suis-je? J'ai peur! Oh! mes mains tremblent, mes jambes tremblent!... Il me semble qu'un vent froid passe sur moi... Où suis-je? Ah! le vent m'emporte, le vent m'emporte dans les espaces.
(Entre Phébor.)
Phébor, soutiens-moi!
PHéBOR
Il la re?oit dans ses bras et l'étrangle.
Là, là! Elle est morte bien doucement, comme une perdrix blessée qu'on achève... C'est fait... Elle est venue au devant du lacet... Où vais-je la mettre?... Dans ce coin-là...
(Il la couche, puis la tra?ne par les cheveux.)
Elle est lourde... Oh! oh! Son ventre est énorme!... Elle ne mentait pas, elle était grosse. De moi! Bien, je reprends mon sang, je bois le vin que j'avais versé dans son verre... Des fleurs! Pourquoi toutes ces fleurs? Des roses, des roses, des roses... Ainsi, je viens de la tuer... C'est fait. Quoi? Qu'ai-je fait? Rien. Elle était morte, quand j'ai serré son cou, un peu trop fort... Ce n'est pas moi... Pauvre enfant!
(Il prend des roses et les jette sur elle.)
Elle a remué! J'ai vu ses doigts se mouvoir comme pour prendre une des roses...
Son ventre aussi, son ventre s'agite...
Ah! criminel imbécile qui n'a pas su tuer du premier coup!...
(Il arrache de sa gaine une des épées qui pendent aux murs.)
Lache qui n'ose pas recommencer!... Lache qui reste à moitié du crime!... A-t-elle remué vraiment?... Oui, elle remue!...
(Il lui perce le coeur, puis le ventre.)
Ah! le sang, quel philtre! La vue du sang m'exalte! Voilà les roses blanches devenues toutes rouges! Ah! les belles roses rouges!
(Des voix, dehors, chantent.)
Les sirènes Etaient trois reines, Chacune a choisi son roi. Les sirènes, Etaient trois reines, Sois notre reine, ? Messagère!
PHéBOR
Qui chante en ce moment, en un tel moment, quand l'oeuvre vient de s'accomplir, quand la fécondité vient d'être niée, quand le désir g?t dans son sang, quand l'avenir vient d'être étranglé, quand le présent triomphe, quand Goliath a égorgé David? Quelle est cette chanson stupide? Chante, peuple hideux, la Messagère est morte!
(Entre Phéna.)
PHéNA
O Phébor, gloire à toi! honneur à toi! amour à toi! Tu as délivré le monde de la tyrannie de l'espoir.
(Entre le Pauvre.)
PHéNA
Le Pauvre! Phébor arrête-le, tiens-le!
(Courant à la porte et criant:)
Le Pauvre a tué Phénissa! Venez, venez!
(Pendant que Phébor, après une courte lutte, écrase sous son genou le Pauvre que l'épouvante paralyse, entrent les femmes, qui s'empressent en gémissant.)
LES SUIVANTES
O Phénissa! O Phénissa! O Phénissa!
LA PETITE
Elle a recueilli toutes les roses et les épand sur la morte.
O Phénissa, c'est donc encore à moi de saluer par des fleurs la nouvelle épouse,--? Phénissa, entrée dans le lit de la mort!
LES SUIVANTES
Dans le lit de la mort, ? Phénissa!
LA PETITE
O Phénissa, qui nous aimais, qui nous baisais si tendrement que tes baisers étaient des gouttes d'élixir!
LES SUIVANTES
Si tendrement, ? Phénissa!
LA PETITE
O Phénissa, qui aimais les malheureux et qui voulais la gloire des pauvres!
LES SUIVANTES
La gloire des pauvres, ? Phénissa!
LA PETITE
O Phénissa, tes humbles filles t'offrent les dernières fleurs, ? Phénissa!
LES SUIVANTES
O Phénissa! O Phénissa! O Phénissa!
(Des soldats et des valets entrent en tumulte.)
PHéNA
Voici celui qui a tué Phénissa.
LE PAUVRE
Se débattant sous les étreintes.
Non, non, ce n'est pas moi. Voilà...
PHéBOR
Baillonnez-le pour l'empêcher de mentir.
Ao?t-Septembre 1893.
End of the Project Gutenberg EBook of Phénissa, by Remy de Gourmont
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