encore: je renonce et je meurs à l'amour, à la richesse et aux
grandeurs, pour vivre en philosophe avec eux et vous.
BIRON.--Je ne puis que répéter à mon tour la même protestation. J'ai
déjà fait les mêmes voeux, mon cher souverain: j'ai juré de vivre,
d'étudier ici trois années. Mais il y a d'autres pratiques rigides, comme
de ne pas voir une seule femme jusqu'à ce terme, article qui, j'espère,
n'est pas enregistré dans l'acte; de ne goûter d'aucune nourriture durant
un jour entier de la semaine, et, les autres jours, de ne manger que d'un
seul mets, autre point qui, j'espère, ne s'y trouve pas non plus; et encore
de ne dormir que trois heures par nuit, sans jamais être surpris les yeux
assoupis dans le jour (tandis que moi, ma coutume est de ne jamais
songer à mal toute la nuit, et même de changer en nuit la moitié du
jour), troisième clause qui, j'espère, n'est pas non plus mentionnée dans
l'écrit. Oh! ce sont là des tâches bien arides, trop pénibles à remplir: ne
pas voir les dames, étudier, jeûner et ne pas dormir!
LE ROI.--Votre serment de vous abstenir de ces trois points est
prononcé.
BIRON.--Permettez-moi de répondre non, mon souverain. J'ai
simplement juré d'étudier avec Votre Altesse, et de passer ici à votre
cour l'espace de trois ans.
LE ROI.--Biron, avec cet article, vous avez juré les autres aussi.
BIRON.--Par oui et par non, mon prince; alors mon serment n'était pas
sérieux.--Quel est le but de l'étude? Apprenez-le-moi.
LE ROI.--Quoi! c'est de savoir ce que nous ne saurions pas sans elle.
BIRON.--Voulez-vous parler des connaissances cachées et interdites à
l'intelligence ordinaire?
LE ROI.--Oui; telle est la divine récompense de l'étude!
BIRON.--Allons, je veux bien jurer d'étudier, pour connaître la chose
qu'il m'est interdit de savoir.--Par exemple, je veux bien étudier pour
savoir où je pourrai dîner, lorsque les festins me seront expressément
défendus. Et encore, pour savoir où trouver une belle maîtresse, quand
les belles seront cachées à mes yeux. Ou bien, m'étant lié par un
serment trop difficile à garder, je veux bien étudier l'art de l'enfreindre
sans manquer à ma foi. Si tels sont les fruits de l'étude, et qu'il soit vrai
qu'elle apprenne à connaître ce qu'on ne savait pas avant, je suis prêt à
faire le serment, et jamais je ne me rétracterai.
LE ROI.--Vous venez justement de citer les obstacles qui détournent
l'homme de l'étude, et qui donnent à nos âmes le goût des vains plaisirs.
BIRON.--Sans doute, tous les plaisirs sont vains: mais les plus vains de
tous sont ceux qui, acquis avec peine, ne produisent pour fruit que la
peine; comme de méditer péniblement sur un livre, pour chercher la
lumière de la vérité, tandis que son éclat perfide ne sert qu'à aveugler la
vue éblouie. La lumière, en cherchant la lumière, enlève la lumière à la
lumière. Ainsi, les yeux perdent la vue avant de trouver une faible lueur
dans les ténèbres. Étudiez-moi plutôt comment on peut charmer ses
yeux, en les fixant sur des yeux plus beaux, qui, s'ils les éblouissent,
servent du moins d'étoiles à l'homme qu'ils ont aveuglé. L'étude
ressemble au radieux soleil des cieux, qui ne veut pas être approfondi
par d'insolents regards: ces infatigables travailleurs n'ont jamais rien
gagné qu'un vil renom fondé sur les livres d'autrui. Ces parrains
terrestres des astres du ciel, qui donnent un nom à chaque étoile fixe, ne
retirent pas plus de fruit de leurs brillantes nuits, que ceux qui se
promènent à leur clarté sans les connaître: trop savoir, c'est ne connaître
que la gloire, et tout parrain peut donner un nom.
LE ROI.--Comme il est savant en arguments contre la science!
DUMAINE.--Il est fort instruit dans l'art d'empêcher les autres de
s'instruire.
LONGUEVILLE.--Il sarcle le bon grain et laisse croître l'ivraie.
BIRON.--Le printemps est proche, quand les oisons couvent.
DUMAINE.--Et la conséquence, quelle est-elle?
BIRON.--Qu'il faut que chaque chose se fasse en son temps et en son
lieu.
DUMAINE.--Rien pour la raison.
BIRON.--Quelque chose donc pour la rime.
LONGUEVILLE.--Biron ressemble à une gelée jalouse, qui attaque les
premiers-nés des enfants du printemps.
BIRON.--Eh bien! oui; et pourquoi l'été se vanterait-il avant d'entendre
le chant des oiseaux? Pourquoi me glorifierais-je de productions
prématurées? A Noël, je ne désire pas plus les roses, que je ne désire la
neige dans les jours où Mai se montre émaillé de fleurs nouvelles; mais
j'aime chaque fruit dans sa saison. Quant à vous, il est trop tard
maintenant pour étudier: ce serait monter sur le toit de la maison pour
en ouvrir la porte.
LE ROI.--Eh bien! quittez-nous, retournez chez vous: adieu.
BIRON.--Non, mon gracieux souverain. J'ai fait serment de rester avec
vous, et quoique j'aie défendu l'ignorance et la barbarie, par des
arguments plus forts que vous ne pouvez en alléguer
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.