Paula Monti, Tome I | Page 3

Eugène Süe
beaux que soient ses yeux, on dirait des yeux... diaboliques.
--Peste! cela devient intéressant--s'écria M. de Brévannes;--la princesse est une véritable héro?ne de roman moderne. Après tout ce que je viens d'entendre dire sur sa figure, je n'ose vous parler de son esprit. Ordinairement on n'exulte certaines miraculeuses perfections qu'aux dépens des imperfections les plus prononcées.
--Tu te trompes--dit le domino.--Ceux qui ont entendu parler madame de Hansfeld, et ceux-là sont rares, la disent aussi spirituelle que belle.
--C'est vrai--reprit Fierval;--on peut seulement lui reprocher sa sauvagerie, qui s'effarouche des plaisanteries les plus innocentes.
--Il faut que la princesse y prenne garde--dit le domino.--Si ses affections de pruderie durent encore quelque temps, elle se verra aussi abandonnée des hommes que recherchée des femmes, qui à cette heure la redoutent encore, ne sachant pas si son rigorisme est réel ou affecté.
--Mais--dit M. de Brévannes--qui peut faire supposer la princesse capable d'hypocrisie?
--Rien. Elle est très pieuse--reprit M. de Fierval.
--Dis donc dévote--reprit le domino--?a n'est pas la même chose.
--Quand on aime si passionnément l'église--dit un autre--on aime moins les salons et on donne moins de soin à sa toilette.
--Voilà qui est injuste--dit M. de Fierval en souriant.--La princesse s'habille toujours de la même manière et avec la plus grande simplicité: le soir une robe de velours noir ou grenat foncé avec ses cheveux en bandeaux.
--Oui; mais ces robes, admirablement coupées, laissent admirer des épaules ravissantes, des bras d'une perfection rare, une taille de créole, un pied de Cendrillon, et quel luxe de pierreries!
--Autre injustice!--s'écria M. de Fierval,--elle ne porte qu'un simple ruban de velours noir ou grenat autour du cou, assorti à la couleur de sa robe....
--Oui--reprit le domino--et ce pauvre petit ruban est attaché par un modeste fermoir composé d'une seule pierre.... Il est vrai que c'est un diamant, un rubis ou un saphir de vingt ou trente mille francs.... La princesse possède, entre autres merveilles, une émeraude grosse comme une noix.
--?a n'est toujours que l'accessoire du ruban de velours--dit gaiement M. de Fierval.
--Mais le prince, le prince m'inquiète... moi--reprit M. de Brévannes.--Sérieusement, est-il aussi mystérieux qu'on le dit?
--Sérieusement, reprit M. de Fierval.--Après avoir demeuré quelque temps rue Saint-Guillaume, il est allé se loger sur le quai d'Anjou, au Diable-Vert, dans cet ancien et immense h?tel Lambert. Une femme de ma connaissance, madame de Lormoy, est allée rendre visite à la princesse; elle n'a pas vu le prince, on l'a dit souffrant. Il para?t que rien n'est plus triste que ce palais énorme, où l'on est comme perdu, où l'on n'entend pas plus de bruit qu'au milieu d'une plaine, tant ces rues et ces quais sont déserts.
Puisque vous connaissez des personnes qui ont pénétré dans cette habitation mystérieuse, mon cher Fierval--dit un autre--est-il vrai que la princesse a toujours à c?té d'elle une espèce de nain ou de naine, nègre ou négresse, mais difforme?
--Quelle exagération! dit M. de Fierval en riant.
Et voilà justement comme on écrit l'histoire!
--Le nain ou la naine n'existe pas.
--Je suis désolé, messieurs, de détruire vos illusions. Madame de Lormoy, qui, je vous le répète, va souvent à l'h?tel Lambert, a seulement remarqué la fille de compagnie de madame de Hansfeld; c'est une très jeune personne qui n'est pas négresse, mais dont le teint est cuivré, et dont les traits ont le caractère arabe.
Voilà nécessairement la source d'où est sortie la naine noire et difforme.
--C'est dommage, je regrette le nain nègre et hideux; c'était furieusement moyen-age! dit M. de Brévannes.
* * * * *

CHAPITRE II.
UNE INTRIGUE.
Un assez grand attroupement de curieux, formé autour du coffre où tr?nait le domino dont nous avons parlé, écoutait avidement les bizarres versions qui circulaient sur la vie mystérieuse du prince et de la princesse de Hansfeld.
Heureusement pour les curieux, ces récits n'étaient pas à leur fin.
--Il est à remarquer--reprit M. de Fierval--que madame de Lormoy, la seule personne qui voie assez intimement madame de Hansfeld, en dit un bien infini.
--C'est tout simple--reprit M. de Brévannes--le moindre petit rocher est toujours une Amérique pour les modernes Colomb.... Madame de Lormoy a découvert l'h?tel Lambert, elle doit raconter des merveilles de la princesse.... Mais, à propos de madame de Lormoy, que devient son neveu, le beau des beaux, Léon de Morville? Quelle heureuse femme adore maintenant sa figure d'archange, depuis qu'il a été obligé de se séparer de lady Melford?
--Il est toujours fidèle au souvenir de sa belle insulaire--répondit M. de Fierval.
--A la grande colère de plusieurs femmes à la mode--ajouta le domino--entre autres de la petite marquise de Luceval, qui affecte l'originalité comme si elle n'était pas assez jolie pour être naturelle; n'ayant pu enlever Léon de Morville à sa lady du vivant de cet amour, elle espérait au moins en hériter.
--Une liaison de cinq ans, c'est si rare....
--Ce qui est plus rare encore, c'est qu'on soit fidèle... à un souvenir.... Je n'en reviens pas--dit M. de Brévannes.
--Surtout
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 59
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.