aussi, et nous ne demandons pas mieux qu'on nous réponde,
pourvu que ce ne soit pas en nous fermant la bouche. Nous avons peu
de goût pour ce système de riposte qui consiste à foudroyer l'adversaire
à son aise, après avoir pris la précaution d'enclouer ses batteries, et
nous ne tenons pas plus à le subir que nous ne tiendrions à l'imposer.
[Note 2: Voir, en particulier, plusieurs des innombrables communiqués
adressés à l'Opinion nationale et au Journal des Débats. M. le préfet
s'entend mieux que pas un à se faire une tribune de celle de ses
adversaires.]
Ici, qu'on nous permette une réminiscence classique. Quand un général
romain montait au Capitole, loin de s'inquiéter des quelques voix
discordantes qui se mêlaient aux acclamations de la foule, il voulait les
entendre, et les réclamait au besoin comme un assaisonnement du
concert. On organisait une opposition par ordre derrière le char du
triomphateur. C'était là, sans doute, un raffinement de sensualité
païenne qui serait aujourd'hui déplacé, et je ne demande pas qu'on le
ressuscite; chacun sait bien, d'ailleurs, que cette résurrection serait
impossible. Mais, à une époque où nous avons emprunté tant de choses
à l'histoire du peuple qui a produit Jules César, le souvenir m'a paru
tout à fait de mise.
Les Parisiens, dit-on, admirent beaucoup leur nouvelle ville; on assure
que les étrangers nous l'envient; les provinciaux nous apportent leur
extase de tous les bouts de la France. J'ai lu dans le Constitutionnel, et
dans plusieurs journaux également accrédités, auxquels un publiciste
fameux a prêté récemment un concours inattendu, que la transformation
de Paris est le miracle du siècle; il est d'usage de n'en point parler, dans
les cantates et dans les discours qui ont gardé la tradition du grand style
oratoire, sans y joindre l'épithète de prodigieuse, ou tout au moins
d'admirable. Dernièrement, un homme d'esprit, en une comédie
fameuse applaudie deux cents fois de suite sur un de nos premiers
théâtres, faisait des embellissements de Paris son argument le plus
victorieux contre les ganaches qui s'obstinent à nier le progrès de toutes
choses et les charmes particuliers de l'époque actuelle. Contre un si rare
accord qu'est-ce que la voix d'un contribuable obscur, qui n'est pas
même fonctionnaire? Je suis honteux d'opposer à cette mer
d'enthousiasme le grain de sable de ma critique. Mais, puisque j'ai le
malheur d'être une de ces ganaches que l'argument ne suffit pas à
convaincre; puisque j'ai le mauvais goût de ne point me trouver
d'accord avec l'esthétique des cantates et du Constitutionnel, j'aurai du
moins la franchise d'avouer ce ridicule, sans chercher à l'atténuer, et de
me punir de mes torts en les expiant par une confession publique et
sincère.
* * *
PARIS NOUVEAU
ET
PARIS FUTUR
* * *
PARIS NOUVEAU
I
COUP D'OEIL GÉNÉRAL
Il y a quatre cents ans, lorsque Quasimodo, accoudé sur la balustrade
des tours de Notre-Dame, regardait Paris étendu sous ses pieds, voici ce
qu'il voyait: un océan de toits aigus, de pignons taillés, de clochetons
sculptés, de tourelles accrochées aux angles des murs; un luxuriant
fouillis de pyramides de pierre, d'obélisques d'ardoises, de donjons
massifs, de tours aériennes, de flèches brodées en dentelles; un
labyrinthe fourmillant et profond, où se confondaient dans un
harmonieux pêle-mêle les devantures sculptées, les fenêtres historiées,
les portes enjolivées, les solives curieusement ouvrées, les murailles
crénelées, les églises aux grands porches ogivaux surchargés de statues,
les hôtels somptueux et sévères avec leurs forêts de cheminées, de
girouettes, de sveltes aiguilles, de pavillons, de herses de fer, de
lanternes découpées à jour, d'arabesques étincelantes, de vis, de spirales,
de gargouilles et de tournelles en fuseau. Un inextricable
enchevêtrement de ruelles serpentait d'un bout à l'autre de la ville,
faisant à travers les hautes maisons pittoresques des percées
capricieuses et charmantes, ménageant aux regards des perspectives
infinies, où l'imprévu naissait et renaissait à chaque pas; mêlant sans
cesse, dans le plus amusant amalgame, le hideux à la grâce et le
grandiose au burlesque.
Par ces mille voies sinueuses marchait une population bariolée de
bourgeois en robes de laine, de seigneurs en robes de drap d'or, de
magistrats et de prélats en robes de soie, embéguinés de velours et
d'hermine; d'archers et de sergents de la prévôté, en hoquetons, côte à
côte avec les truands de la cour des Miracles; de jongleurs en bas
rouges menant un ours en laisse ou une truie savante attelée à son rouet;
de trouvères, la harpe au dos et le tambourin pendu à la ceinture. Ici,
une confrérie s'avançait, la bannière du patron en tête; là, un chapitre
portait en procession la châsse de son saint; plus loin les chefs d'une
corporation se rendaient au lieu de leur séance, escortés des
compagnons en grand costume, et précédés de la bande joyeuse des
ménétriers. Partout les écoliers
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