Othello | Page 5

William Shakespeare
qu'il en soit, la diff��rence des deux syst��mes se r��v��le pleinement dans ce seul trait. Dans l'un, la passion et la situation sont tout; c'est l�� que le po?te puise tous ses moyens: dans l'autre, ce sont les caract��res individuels et l'ensemble de la nature humaine qu'il exploite; une passion, une situation ne sont, pour lui, qu'une occasion de les mettre en sc��ne avec plus d'��nergie et d'int��r��t.
L'action qui fait le sujet d'Othello doit ��tre rapport��e �� l'ann��e 1570, ��poque de la principale attaque des Turcs contre l'?le de Chypre, alors au pouvoir des V��nitiens. Quant �� la date de la composition m��me de la trag��die, M. Malone la fixe �� l'ann��e 1611. Quelques critiques doutent que Shakspeare ait connu la nouvelle m��me de Giraldi Cinthio, et supposent qu'il n'a eu entre les mains qu'une imitation fran?aise, publi��e �� Paris en 1584 par Gabriel Chappuys. Mais l'exactitude avec laquelle Shakspeare s'est conform�� au r��cit italien, jusque dans les moindres d��tails, me porte �� croire qu'il a fait usage de quelque traduction anglaise plus litt��rale.

OTHELLO
OU
LE MORE DE VENISE
TRAG��DIE
PERSONNAGES
LE DUC DE VENISE. BRABANTIO, s��nateur. GRATIANO, fr��re de Brabantio. LODOVICO, parent de Brabantio. OTHELLO, le More. CASSIO, lieutenant d'Othello. JAGO, enseigne d'Othello. RODERIGO, gentilhomme v��nitien. MONTANO, pr��d��cesseur d'Othello dans le gouvernement de l'?le de Chypre. UN BOUFFON au service d'Othello. UN H��RAUT. DESD��MONA, fille de Brabantio, et femme d'Othello. ��MILIA, femme du Jago. BIANCA, courtisane, ma?tresse de Cassio. S��NATEURS, OFFICIERS, MESSAGERS, MUSICIENS, MATELOTS ET SUITE.
La sc��ne, au premier acte, est �� Venise; pendant le reste de la pi��ce elle est dans un port de mer, dans l'?le de Chypre.

ACTE PREMIER
SC��NE I
Venise.--Une rue.
Entrent RODERIGO et JAGO.
RODERIGO.--Allons, ne m'en parle jamais! Je trouve tr��s-mauvais que toi, Jago, qui as dispos�� de ma bourse comme si les cordons en ��taient dans tes mains, tu aies eu connaissance de cela.
JAGO.--Au diable! mais vous ne voulez pas m'entendre. Si jamais j'ai eu le moindre soup?on de cette affaire, ha?ssez-moi.
RODERIGO.--Tu m'avais dit que tu le d��testais.
JAGO.--M��prisez-moi, si cela n'est pas. Trois grands personnages de la ville, le sollicitant en personne pour qu'il me f?t lieutenant, lui ont souvent ?t�� leur chapeau; et foi d'homme, je sais ce que je vaux, je ne vaux pas moins qu'un tel emploi: mais lui, qui n'aime que son orgueil et ses id��es, il les a pay��s de phrases pompeuses, horriblement h��riss��es de termes de guerre, et finalement il a ��conduit mes protecteurs: ?_Je vous le proteste, leur a-t-il dit, j'ai d��j�� choisi mon officier_.? Et qui ��tait-ce? Vraiment un grand calculateur, un Michel Cassio, un Florentin, un gar?on pr��t �� se damner pour une belle femme, qui n'a jamais manoeuvr�� un escadron sur le champ de bataille, qui ne conna?t pas plus qu'une vieille fille la conduite d'une bataille; mais savant, le livre en main, dans la th��orie que nos s��nateurs en toge discuteraient aussi bien que lui. Pur bavardage sans pratique, c'est l�� tout son talent militaire. Voil�� l'homme sur qui est tomb�� le choix du More; et moi, que ses yeux ont vu �� l'��preuve �� Rhodes, en Chypre, et sur d'autres terres chr��tiennes et infid��les, je me vois rebut�� et pay�� par ces paroles: ?_Je sais ce que je vous dois; prenez patience, je m'acquitterai un jour!_? C'est cet autre qui, dans les bons jours, sera son lieutenant; et moi (Dieu me b��nisse!), je reste l'enseigne de sa moresque seigneurie.
RODERIGO.--Par le ciel! j'aurais mieux aim�� ��tre son bourreau.
JAGO--Mais �� cela nul rem��de. Tel est le malheur du service. La promotion suit la recommandation et la faveur; elle ne se r��gle plus par l'ancienne gradation, lorsque le second ��tait toujours h��ritier du premier. Maintenant, seigneur, jugez vous-m��me si j'ai la moindre raison d'aimer le More.
RODERIGO.--En ce cas, je ne resterais pas �� son service.
JAGO.--Seigneur, rassurez-vous. Je le sers pour me servir moi-m��me contre lui. Nous ne pouvons tous ��tre ma?tres, et tous les ma?tres ne peuvent ��tre fid��lement servis. Vous trouverez beaucoup de serviteurs soumis, rampants, qui, passionn��s pour leur propre servitude, usent leur vie comme l'ane de leur ma?tre, seulement pour la nourriture de la journ��e. Quand ils sont vieux on les casse aux gages. Chatiez-moi ces honn��tes esclaves. Il en est d'autres qui, rev��tus des formes et des apparences du d��vouement, tiennent au fond toujours leur coeur �� leur service. Ils ne donnent �� leurs seigneurs que des d��monstrations de z��le, prosp��rent �� leurs d��pens; et d��s qu'ils ont mis une bonne doublure �� leurs habits, ce n'est plus qu'�� eux-m��mes qu'ils rendent hommage. Ceux-l�� ont un peu d'ame, et je professe d'en ��tre; car, seigneur, aussi vrai que vous ��tes Roderigo, si j'��tais le More, je ne voudrais pas ��tre Jago. En le servant, je ne sers que moi, et le ciel m'est t��moin que je ne le fais ni par amour, ni par d��vouement, mais, sous ce
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