Opinions sociales

Anatole France

Opinions sociales, by Anatole France

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Title: Opinions sociales
Author: Anatole France
Release Date: September 11, 2006 [EBook #19248]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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ANATOLE FRANCE
OPINIONS SOCIALES
PARIS
SOCI��T�� NOUVELLE DE LIBRAIRIE ET D'��DITION
1902

TOME I

CONTE POUR COMMENCER GAIEMENT L'ANN��E
Horteur, le fondateur de l'��toile, le directeur politique et litt��raire de la Revue nationale et du Nouveau Si��cle illustr��, Horteur, m'ayant re?u dans son cabinet, me dit du fond de son si��ge directorial:
--Mon bon Marteau, faites-moi un conte pour mon num��ro exceptionnel du Nouveau Si��cle. Trois cents lignes, �� l'occasion du ?jour de l'an?. Quelque chose de bien vivant, avec un parfum d'aristocratie.
Je r��pondis �� Horteur que je n'��tais pas bon, au sens du moins o�� il le disait, mais que je lui donnerais volontiers un conte.
--J'aimerais bien, me dit-il, que cela s'appelat: Conte pour les riches.
--J'aimerais mieux: Conte pour les pauvres.
--C'est ce que j'entends. Un conte qui inspire aux riches de la piti�� pour les pauvres.
--C'est que pr��cis��ment je n'aime pas que les riches aient piti�� des pauvres.
--Bizarre!
--Non pas bizarre, mais scientifique. Je tiens la piti�� du riche envers le pauvre pour injurieuse et contraire �� la fraternit�� humaine. Si vous voulez que je parle aux riches, je leur dirai: ?��pargnez aux pauvres votre piti��: ils n'en ont que faire. Pourquoi la piti��, et non pas la justice? Vous ��tes en compte avec eux. R��glez le compte. Ce n'est pas une affaire de sentiment. C'est une affaire ��conomique. Si ce que vous leur donnez gracieusement est pour prolonger leur pauvret�� et votre richesse, ce don est inique et les larmes que vous y m��lerez ne le rendront pas ��quitable. Il faut restituer, comme disait le procureur au juge apr��s le sermon du bon fr��re Maillard. Vous faites l'aum?ne pour ne pas restituer. Vous donnez un peu pour garder beaucoup et vous vous f��licitez. Ainsi le tyran de Samos jeta son anneau �� la mer. Mais la N��m��sis des dieux ne re?ut point cette offrande. Un p��cheur rapporta au tyran son anneau dans le ventre d'un poisson. Et Polycrate fut d��pouill�� de toutes ses richesses.?
--Vous plaisantez.
--Je ne plaisante pas. Je veux faire entendre aux riches qu'ils sont bienfaisants au rabais et g��n��reux �� bon compte, qu'ils amusent le cr��ancier, et que ce n'est pas ainsi qu'on fait les affaires. C'est un avis qui peut leur ��tre utile.
--Et vous voulez mettre des id��es pareilles dans le Nouveau Si��cle, pour couler la feuille! Pas de ?a! mon ami, pas de ?a!
--Pourquoi voulez-vous que le riche agisse avec le pauvre autrement qu'avec les riches et les puissants? Il leur paye ce qu'il leur doit, et, s'il ne leur doit rien, il ne leur paye rien. C'est la probit��. S'il est probe, qu'il en fasse autant pour les pauvres. Et ne dites point que les riches ne doivent rien aux pauvres. Je ne crois pas qu'un seul riche le pense. C'est sur l'��tendue de la dette que commencent les incertitudes. Et l'on n'est pas press�� d'en sortir. On aime mieux rester dans le vague. On sait qu'on doit. On ne sait pas ce qu'on doit, et l'on verse de temps en temps un petit acompte. Cela s'appelle la bienfaisance, et c'est avantageux.
--Mais ce que vous dites l�� n'a pas le sens commun, mon cher collaborateur. Je suis peut-��tre plus socialiste que vous. Mais je suis pratique. Supprimer une souffrance, prolonger une existence, r��parer une parcelle des injustices sociales, c'est un r��sultat. Le peu de bien qu'on fait est fait. Ce n'est pas tout, mais c'est quelque chose. Si le petit conte que je vous demande attendrit une centaine de mes riches abonn��s et les dispose �� donner, ce sera autant de gagn�� sur le mal et la souffrance. C'est ainsi que peu �� peu on rend la condition des pauvres supportable.
--Est-il bon que la condition des pauvres soit supportable? La pauvret�� est indispensable �� la richesse, la richesse est n��cessaire �� la pauvret��. Ces deux maux s'engendrent l'un l'autre et s'entretiennent l'un par l'autre. Il ne faut pas am��liorer la condition des pauvres; il faut la supprimer. Je n'induirai pas les riches en aum?ne, parce que leur aum?ne est empoisonn��e, parce que l'aum?ne fait du bien �� celui qui donne et du mal �� celui qui re?oit, et parce qu'enfin, la richesse ��tant par elle-m��me dure et cruelle, il ne faut pas qu'elle
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