Oliver Twist | Page 6

Charles Dickens
au
dépôt. Un morceau de pain à la main, et coiffé de la petite casquette de
drap brun des enfants de la paroisse, Olivier fut emmené par M.
Bumble hors de cet affreux séjour, où jamais une parole ni un regard
d'affection n'avait embelli ses tristes années d'enfance. Et pourtant il
éclata en sanglots quand la porte se referma derrière lui; quelque
misérables que fussent les petits compagnons d'infortune qu'il quittait,
c'étaient les seuls amis qu'il eût jamais connus, et le sentiment de son
isolement dans ce vaste univers se fit jour pour la première fois dans le
coeur de l'enfant.
M. Bumble marchait à grand pas, et le petit Olivier, serrant bien fort le

parement galonné du bedeau, trottait à côté de lui, et demandait à
chaque instant s'ils n'allaient pas bientôt arriver. M. Bumble répondait à
ses questions d'une manière brève et dure: il n'éprouvait plus l'influence
bienfaisante qu'exerce le genièvre sur certains coeurs, et il était
redevenu bedeau.
Il n'y avait pas un quart d'heure qu'Olivier avait franchi le seuil du
dépôt de mendicité, et il avait à peine fini de faire disparaître un second
morceau de pain, quand M. Bumble, qui l'avait confié aux soins d'une
vieille femme, revint lui dire que c'était jour de conseil et que le conseil
le mandait.
Olivier, qui n'avait pas une idée précise de ce que c'était qu'un conseil,
fut fort étonné à. cette nouvelle, ne sachant pas trop s'il devait rire ou
pleurer; du reste, il n'eut pas le temps de faire de longues réflexions: M.
Bumble lui donna un petit coup de canne sur la tête pour le rendre
attentif, un autre sur le dos pour le rendre alerte, lui ordonna de le
suivre, et le conduisit dans une grande pièce badigeonnée de blanc, où
huit ou dix gros messieurs siégeaient autour d'une table, au bout de
laquelle un monsieur d'une belle corpulence, au visage rond et rouge,
était assis dans un fauteuil plus élevé que les autres.
«Saluez le conseil,» dit Bumble.
Olivier essuya deux ou trois larmes qui roulaient dans ses yeux, et salua
la table du conseil.
- Votre nom, petit? dit le monsieur qui occupait le fauteuil.
Olivier eut peur à la vue de tant de messieurs, et resta interdit. Le
bedeau lui appliqua sur le dos un nouveau coup qui le fit pleurer; aussi
répondit-il bien bas et d'une voix tremblante; sur quoi un monsieur à
gilet blanc dit qu'il était un idiot, moyen excellent pour donner un peu
d'assurance à l'enfant et le mettre à son aise.
«Écoutez-moi, petit, dit le président; vous savez que vous êtes orphelin,
je suppose?
- Qu'est-ce que c'est que ça? demanda le pauvre Olivier.
- Cet enfant est idiot, j'en étais sûr, dit le monsieur au gilet blanc, d'un
ton péremptoire.
- Chut! dit le monsieur qui avait parlé le premier; vous savez que vous
n'avez ni père ni mère, et que vous êtes élevé aux frais de la paroisse,
n'est-ce pas?
- Oui, monsieur, répondit Olivier en pleurant amèrement.

- Pourquoi donc pleurez-vous? demanda le monsieur au gilet blanc.
(C'était en effet bien extraordinaire; qu'avait donc cet enfant à pleurer
ainsi?)
- J'espère que vous faites vos prières tous les soirs, dit un autre
monsieur d'un ton rechigné, et que vous priez en bon chrétien pour
ceux qui vous nourrissent et qui ont soin de vous?
- Oui, monsieur,» balbutia l'enfant.
Le monsieur qui venait de parler avait raison: il eût fallu en effet
qu'Olivier fût un bon chrétien et même un chrétien modèle, s'il eut prié
pour ceux qui le nourrissaient et qui avaient soin de lui; mais il ne le
faisait pas, parce qu'on ne le lui avait pas enseigné.
«C'est bien, dit le président à mine rubiconde; vous êtes ici pour votre
éducation et pour apprendre un métier utile.
- Aussi, demain matin à six heures vous commencerez à éplucher de
l'étoupe,» dit le bourru au gilet blanc.
Faire éplucher de l'étoupe à Olivier, c'était combiner ensemble d'une
manière très simple les deux bienfaits qu'on lui accordait; il reconnut
l'un et l'autre par un profond salut à l'instigation du bedeau, puis on
l'emmena dans une grande salle de l'hospice, où, sur un lit bien dur, il
s'endormit en sanglotant: preuve éclatante de la douceur des lois de
notre heureux pays, qui n'empêchent pas les pauvres de dormir!
Pauvre Olivier! Endormi dans l'heureuse ignorance de ce qui se passait
autour de lui, il ne songeait guère que ce jour-là même le conseil venait
de prendre une décision qui devait exercer sur sa destinée ultérieure une
influence irrésistible: mais la décision était prise; et voici quelle elle
était.
Les membres du conseil d'administration étaient des hommes pleins de
sagesse et d'une philosophie profonde: en fixant leur attention sur le
dépôt de mendicité, ils avaient découvert tout
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 203
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.