Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1 | Page 2

Paul Verlaine
vie et du
choc désordonné des armes
Mercenaires, voyez, gravissant les
hauteurs
Ineffables, voici le groupe des Chanteurs
Vêtus de blanc,
et des lueurs d'apothéoses
Empourprent la fierté sereine de leurs
poses:
Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,
Et sur
leur front le rêve inachevé des Dieux,
Le monde que troublait leur
parole profonde,
Les exile. A leur tour ils exilent le monde!
C'est
qu'ils ont à la fin compris qu'ils ne faut plus
Mêler leur note pure aux
cris irrésolus
Que va poussant la foule obscène et violente,
Et que
l'isolement sied à leur marche lente.
Le Poète, l'amour du Beau, voilà
sa foi,
L'Azur, son étendard, et l'Idéal, sa loi!
Ne lui demandez rien
de plus, car ses prunelles,
Où le rayonnement des choses éternelles

A mis des visions qu'il suit avidement,
Ne sauraient s'abaisser une
heure seulement
Sur le honteux conflit des besognes vulgaires,
Et
sur vos vanités plates; et si naguères
On le vit au milieu des hommes,
épousant
Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant
Aux
guerres, célébrant l'orgueil des Républiques
Et l'éclat militaire et les
splendeurs auliques.
Sur la kitare, sur la harpe et sur le luth,
S'il
honorait parfois le présent d'un salut
Et daignait consentir à ce rôle de
prêtre
D'aimer et de bénir, et s'il voulait bien être
La voix qui rit ou
pleure alors qu'on pleure ou rit,

S'il inclinait vers l'âme humaine son
esprit,
C'est qu'il se méprenait alors sur l'âme humaine.
Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène.
MELANCHOLIA

A Ernest Boutier.
I
RÉSIGNATION
Tout enfant, j'allais rêvant Ko-Hinnor,
Somptuosité persane et papale,

Héliogabale et Sardanapale!
Mon désir créait sous des toits en or,
Parmi les parfums, au son des
musiques,
Des harems sans fin, paradis physiques!
Aujourd'hui plus calme et non moins ardent,
Mais sachant la vie et
qu'il faut qu'on plie,
J'ai dû refréner ma belle folie,
Sans me résigner
par trop cependant.
Soit! le grandiose échappe à ma dent,
Mais fi de l'aimable et fi de la
lie!
Et je hais toujours la femme jolie!
La rime assonante et l'ami
prudent.
II
NEVERMORE
Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L'automne
Faisait voler la grive
à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le
bois jaunissant où la bise détone.
Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les
cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard
émouvant:
«Quel fut ton plus beau jour!» fit sa voix d'or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret
lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.
--Ah! les premières fleurs qu'elles sont parfumées!
Et qu'il bruit avec

un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées!
III
APRÈS TROIS ANS
Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans
le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant
chaque fleur d'une humide étincelle.
Rien n'a changé. J'ai tout revu: l'humble tonnelle
De vigne folle avec
les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin

Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys
orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient
m'est connue.
Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout
de l'avenue.
--Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.
IV
Voeu
Ah! les oarystis! les premières maîtresses!
L'or des cheveux, l'azur
des yeux, la fleur des chairs,
Et puis, parmi l'odeur des corps jeunes et
chers,
La spontanéité craintive des caresses!
Sont-elles assez loin toutes ces allégresses
Et toutes ces candeurs!
Hélas! toutes devers
Le Printemps des regrets ont fui les noirs hivers

De mes ennuis, de mes dégoûts, de mes détresses!
Si que me voilà seul à présent, morne et seul,
Morne et désespéré,
plus glacé qu'un aïeul,
Et tel qu'un orphelin pauvre sans soeur aînée.

O la femme à l'amour câlin et réchauffant,
Douce, pensive et brune, et
jamais étonnée,
Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant
V
LASSITUDE
A batallas de amor campo de
pluma.
(CONGORA)


De la douceur, de la douceur, de la douceur!
Calme un peu ces
transports fébriles, ma charmante.
Même au fort du déduit, parfois,
vois-tu, l'amante
Doit avoir l'abandon paisible de la soeur.
Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien égaux les soupirs
et ton regard berceur.
Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur

Ne valent pas un long baiser, même qui mente!
Mais dans ton cher coeur d'or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve
passion va sonnant l'oliphant.
Laisse-la trompetter à son aise, la
gueuse!
Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des
serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu'au jour, ô petite
fougueuse!
VI
MON RÊVE FAMILIER
Je fais souvent ce rêve
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