Oeuvres complètes, v 4-5 | Page 2

Alfred de Musset
tient une lanterne sourde, et un collier brillant étincelle, sur sa poitrine aux rayons de la lune. Gabrielle! Gabrielle! où vas-tu?
Rentrent Giomo et le duc.
GIOMO.
Ce sera le bonhomme de frère pris de somnambulisme.--Lorenzo conduira votre belle au palais par la petite porte; et quant à nous, qu'avons-nous à craindre?
MAFFIO.
Qui êtes-vous? Holà! arrêtez!
Il tire son épée.
GIOMO.
Honnête rustre, nous sommes tes amis.
MAFFIO.
Où est ma soeur? que cherchez-vous ici?
GIOMO.
Ta soeur est dénichée, brave canaille. Ouvre la grille de ton jardin.
MAFFIO.
Tire ton épée et défends-toi, assassin que tu es!
GIOMO saute sur lui et le désarme.
Halte-là! ma?tre sot, pas si vite!
MAFFIO.
O honte! ? excès de misère! S'il y a des lois à Florence, si quelque justice vit encore sur la terre, par ce qu'il y a de vrai et de sacré au monde, je me jetterai aux pieds du duc, et il vous fera pendre tous les deux.
GIOMO.
Aux pieds du duc?
MAFFIO.
Oui, oui, je sais que les gredins de votre espèce égorgent impunément les familles. Mais que je meure, entendez-vous, je ne mourrai pas silencieux comme tant d'autres. Si le duc ne sait pas que sa ville est une forêt pleine de bandits, pleine d'empoisonneurs et de filles déshonorées, en voilà un qui le lui dira. Ah! massacre! ah! fer et sang! j'obtiendrai justice de vous!
GIOMO, l'épée à la main.
Faut-il frapper, Altesse?
LE DUC.
Allons donc! frapper ce pauvre homme! Va te recoucher, mon ami: nous t'enverrons demain quelques ducats.
Il sort.
MAFFIO.
C'est Alexandre de Médicis!
GIOMO.
Lui-même, mon brave rustre. Ne te vante pas de sa visite si tu tiens à tes oreilles.
Il sort.
SCèNE II
Une rue.--Le point du jour.--Plusieurs masques sortent d'une maison illuminée.
UN MARCHAND DE SOIERIES ET UN ORFèVRE ouvrent leur boutique.
LE MARCHAND DE SOIERIES.
Hé! hé! père Mondella, voilà bien du vent pour mes étoffes.
Il étale ses pièces de soie.
L'ORFèVRE, baillant.
C'est à se casser la tête. Au diable leur noce! je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.
LE MARCHAND.
Ni ma femme non plus, voisin; la chère ame s'est tournée et retournée comme une anguille. Ah! dame! quand on est jeune, en ne s'endort pas au bruit des violons.
L'ORFèVRE.
Jeune! jeune! cela vous pla?t à dire. On n'est pas jeune avec une barbe comme celle-là; et cependant. Dieu sait si leur damnée de musique me donne envie de danser!
Deux écoliers passent.
PREMIER éCOLIER.
Rien n'est plus amusant. On se glisse contre la porte au milieu des soldats, et on les voit descendre avec leurs habits de toutes les couleurs. Tiens! voilà la maison des Nasi.
Il souffle dans ses doigts.
Mon portefeuille me glace les mains.
DEUXIèME éCOLIER.
Et on nous laissera approcher?
PREMIER éCOLIER.
En vertu de quoi est-ce qu'on nous en empêcherait? Nous sommes citoyens de Florence. Regarde tout ce monde autour de la porte; en voilà des chevaux, des pages et des livrées! Tout cela va et vient, il n'y a qu'à s'y conna?tre un peu; je suis capable de nommer toutes les personnes d'importance; on observe bien tous les costumes, et le soir on dit à l'atelier: J'ai une terrible envie de dormir, j'ai passé la nuit au bal chez le prince Aldobrandini, chez le comte Salviati; le prince était habillé de telle ou telle fa?on, la princesse de telle autre, et on ne ment pas. Viens, prends ma cape par derrière.
Ils se placent contre la porte de la maison.
L'ORFèVRE.
Entendez-vous les petits badauds? Je voudrais qu'un de mes apprentis f?t un pareil métier!
LE MARCHAND.
Bon, bon! père Mondella, où le plaisir ne co?te rien, la jeunesse n'a rien à perdre. Tous ces grands yeux étonnés de ces petits polissons me réjouissent le coeur.--Voilà comme j'étais, humant l'air et cherchant les nouvelles. Il para?t que la Nasi est une belle gaillarde, et que le Martelli est un heureux gar?on. C'est une famille bien florentine, celle-là! Quelle tournure ont tous ces grands seigneurs! J'avoue que ces fêtes-là me font plaisir, à moi. On est dans son lit bien tranquille, avec un coin de ses rideaux retroussé; on regarde de temps en temps les lumières qui vont et viennent dans le palais; on attrape un petit air de danse sans rien payer, et on se dit: Hé! hé! ce sont mes étoffes qui dansent, mes belles étoffes du bon Dieu, sur le cher corps de tous ces braves et loyaux seigneurs.
L'ORFèVRE.
Il en danse plus d'une qui n'est pas payée, voisin; ce sont celles-là qu'on arrose de vin et qu'on frotte sur les murailles avec le moins de regret. Que les grands seigneurs s'amusent, c'est tout simple,--ils sont nés pour cela; mais il y a des amusements de plusieurs sortes, entendez-vous?
LE MARCHAND.
Oui, oui, comme la danse, le cheval, le jeu de paume et tant d'autres. Qu'entendez-vous vous-même, père Mondella?
L'ORFèVRE.
Cela suffit;--je me comprends.--C'est-à-dire que les murailles de tous ces palais-là n'ont jamais mieux prouvé leur solidité. Il leur fallait moins de force pour défendre les a?eux de l'eau du ciel, qu'il ne leur en faut pour soutenir les fils quand ils ont
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