Numa Roumestan | Page 8

Alphonse Daudet
dans le premier cabinet d'affaires de Paris avec des relations au faubourg Saint-Germain, �� la Chambre. Malheureusement, le p��re Roumestan s'ent��tait �� lui couper les vivres, tachant de ramener, par la famine, le fils unique, l'avocat de vingt-six ans, en age de gagner sa vie. C'est alors que le cafetier Malmus intervint.
Un type, ce Malmus, gros homme asthmatique et blafard, qui, de simple gar?on de caf��, ��tait devenu propri��taire d'un des plus grands ��tablissements de Paris, par le cr��dit et par l'usure. Jadis, il avan?ait aux ��tudiants l'argent de leur mois, qu'il se faisait rendre au triple, d��s que les galions ��taient arriv��s. Lisant �� peine, n'��crivant pas, marquant les sous qu'il pr��tait avec des coches, dans du bois, comme il avait vu faire aux gar?ons boulangers de Lyon, ses compatriotes, jamais il ne s'embrouillait dans ses comptes, et, surtout, ne pla?ait pas son argent mal �� propos. Plus tard, devenu riche, �� la t��te de la maison o�� quinze ans durant il avait port�� le tablier, il perfectionna son trafic, le mit tout entier dans le cr��dit, un cr��dit illimit�� qui laissait vides, �� la fin de la journ��e, les trois comptoirs du caf��, mais alignait d'interminables colonnes de bocks, de caf��s, de petits verres, sur les livres fantastiquement tenus, avec ces fameuses plumes �� cinq becs, si en honneur dans le commerce parisien.
La combinaison du bonhomme ��tait simple: il abandonnait �� l'��tudiant son argent de poche, toute sa pension, et lui faisait cr��dit des repas, des consommations, m��me, �� quelques privil��gi��s, d'une chambre dans la maison. Pendant tout le temps des ��tudes, il ne demandait pas un sou, laissait accumuler les int��r��ts pour des sommes consid��rables; mais cela ne se faisait pas ��tourdiment, sans surveillance. Malmus passait deux mois de l'ann��e, les mois de vacances, �� courir la province, s'assurant de la sant�� des parents, de la situation des familles. Son asthme s'essoufflait �� grimper les pics c��venols, �� d��gringoler les combes languedociennes. On le voyait errer, podagre et myst��rieux, l'oeil m��fiant sous ses paupi��res lourdes d'ancien gar?on de nuit, �� travers des bourgades perdues; il restait deux jours, visitait le notaire et l'huissier, inspectait par-dessus les murs le petit domaine ou l'usine du client, puis on n'entendait plus parler de lui.
Ce qu'il apprit �� Aps lui donna pleine confiance en Roumestan. Le p��re, ancien filateur, ruin�� par des r��ves de fortune et d'inventions malheureuses, vivait modestement d'une inspection d'assurances; mais sa soeur, madame Portal, veuve sans enfants d'un riche magistrat, devait laisser tous ses biens �� son neveu. Aussi, Malmus tenait-il �� le garder �� Paris: ?Entrez chez Sagnier... Je vous aiderai.? Le secr��taire d'un homme consid��rable ne pouvant habiter un garni d'��tudiants, il lui meubla un appartement de gar?on quai Voltaire, sur la cour, se chargea du loyer, de la pension; et c'est ainsi que le futur leader entra en campagne, avec tous les dehors d'une existence facile, au fond terriblement besogneux, manquant de lest, d'argent de poche. L'amiti�� de Sagnier lui valait des relations superbes. Le faubourg l'accueillait. Seulement ces succ��s mondains, les invitations, �� Paris, en vill��giature d'��t��, o�� il fallait arriver tenu, sangl��, ne faisaient qu'accro?tre ses d��penses. La tante Portal, sur ses demandes r��it��r��es, lui venait bien un peu en aide, mais avec pr��caution, parcimonie, accompagnant son envoi de longues et cocasses mercuriales, de menaces bibliques contre ce Paris si ruineux. La situation n'��tait pas tenable.
Au bout d'un an, Numa chercha autre chose; d'ailleurs, il fallait �� Sagnier des piocheurs, des abatteurs de besogne, et celui-ci n'��tait pas son homme. Il y avait, dans le M��ridional, une indolence invincible, et surtout l'horreur du bureau, du travail assidu et pos��. Cette facult��, tout en profondeur, l'attention, lui manquait radicalement. Cela tenait �� la vivacit�� de son imagination, au perp��tuel moutonnement des id��es sous son front, �� cette mobilit�� d'esprit visible jusque dans son ��criture, qui ne se ressemblait jamais. Il ��tait tout ext��rieur, en voix et en gestes comme un t��nor.
?Quand je ne parle pas, je ne pense pas,? disait-il tr��s na?vement, et c'��tait vrai. La parole ne jaillissait pas chez lui par la force de la pens��e, elle la devan?ait au contraire, l'��veillait �� son bruit tout machinal. Il s'��tonnait lui-m��me, s'amusait de ces rencontres de mots, d'id��es perdues dans un coin de sa m��moire et que la parole retrouvait, ramassait, mettait en faisceau d'arguments. En parlant, il se d��couvrait une sensibilit�� qu'il ne se savait pas, s'��mouvait au vibrement de sa propre voix, �� de certaines intonations qui lui prenaient le coeur, lui remplissaient les yeux de larmes. C'��tait l��, certainement, des qualit��s d'orateur; mais il les ignorait en lui, n'ayant gu��re eu chez Sagnier l'occasion de s'en servir.
Pourtant, ce stage d'un an aupr��s du grand avocat l��gitimiste fut d��cisif dans sa vie. Il y gagna des convictions, un parti, le
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 103
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.