Nouvelles lettres dun voyageur | Page 8

George Sand
comprise, sentie et chantée sous l'aspect qui la fait voir et chérir avec enthousiasme.
Le savant proprement dit est calme, il le faut ainsi. Aimons et respectons cette sérénité à laquelle nous devons tant de recherches précieuses, mais ne nous croyons pas obligés de conclure avec le savant quand il arrive par l'induction à un système froid. Ce seul adjectif le condamne. Rien n'est froid, tout est feu dans la production de la vie.
Ceci me rappelle une anecdote. Un élève botaniste de mes amis étudiait la germandrée et se sentait pris d'amour pour cette plante sans éclat, mais si délicatement teintée. Au milieu de son enthousiasme, en lisant la description de la plante dans un traité de botanique, excellent d'ailleurs, il tombe sur cette désignation de la corolle: _fleur d'un jaune sale_. Je le vois jeter le livre avec colère en s'écriant:
--C'est vous, malheureux auteur, qui avez les yeux sales!
On pourrait en dire autant aux malveillants qui jugent à leur point de vue les actions et les intentions des autres; mais aux bons et graves savants qui voient la nature froide en ses opérations br?lantes on pourrait peut-être dire:
--C'est vous qui avez l'esprit refroidi par trop de travail.
L'auteur de la Plante, ce spirituel et poétique Grimard, dont je vous recommandais le livre, lui aussi a pourtant fait acte de soumission presque complète aux arrêts des savants sur la loi de la vie dans le végétal. Quand vous le lirez, vous vous insurgerez à cette page, je le sais; aussi, pour ne pas vous voir abandonner la pensée d'étudier les fleurs, je veux me hater de vous dire que, moi aussi, je proteste, non contre le système généralement adopté en botanique, mais contre la manière dont on l'expose et les conclusions arbitraires qu'on en tire.
Je tacherai de résumer le plus simplement possible, au risque de forcer un peu le raisonnement pour le rendre plus palpable, et pour vous mettre plus aisément en garde contre ce que présente de spécieux et même de captieux ce raisonnement.
Il part d'une observation positive, incontestable. La plante tire ses organes de sa propre substance; qui en doute? De quoi les tirerait-elle? Est-il besoin d'affirmer que la patte qui repousse à l'écrevisse ou à la salamandre amputée est patte d'écrevisse pour l'écrevisse, et patte de salamandre pour la salamandre? Le merveilleux serait que la nature se trompat et fit des arlequins.
Cependant les savants se sont crus obligés de constater et d'affirmer le fait, et ils ont donné, très à tort selon moi, le nom de métamorphisme à l'opération logique et obligatoire qui transforme le pétale en étamine après avoir transformé la feuille en pétale, comme si une progression de fonctions dans l'organisme était un changement de substance. Ils appellent très-sérieusement l'attention de l'observateur sur ce changement de formes, de couleurs et de fonctions. Fort bien. Le passage du pétale à l'étamine saute aux yeux dans le nénufar, comme dans la rose des jardins le passage de l'étamine au pétale. Dans le nénufar, la nature travaille elle-même à son perfectionnement normal; dans la rose, elle subit le travail inverse que lui impose la culture pour arriver à un perfectionnement de convention; mais, de grace, avec quoi, dans l'un et l'autre cas, la fleur arriverait-elle à se faire féconde ou stérile? Et, dans tout être organisé, animal ou plante, de quoi se forment l'organisation et la désorganisation, sinon de la propre substance, enrichie ou égarée, de l'individu?
Cette simple observation a fait trop de bruit dans la science et a produit une doctrine que voici: la plante serait un pauvre être soumis à d'étranges fatalités; elle ne serait en état de santé normale qu'à l'état inerte. Reste à savoir quel est le savant qui surprendra ce moment d'inertie dans la nature organisée! Mais continuons. Du moment que la plante cro?t et se développe, elle entre dans une série continue d'avortements. Le pétiole est un avortement de la tige, la feuille un avortement du pétiole; ainsi du calice, du périanthe et des organes de la reproduction. Tous ces avortements sont maladifs, n'en doutons pas, car la floraison est le dernier, c'est la maladie mortelle. Les feuilles devenues pétales se décolorent; oui, la science, hélas! parle ainsi. Ces brillantes livrées de noces, la pourpre de l'adonis, l'azur du myosotis, décoloration, maladie, signe de mort, agonie, décomposition, heure suprême, mort.
Tel est l'arrêt de la science. Elle appelle sans doute mort le travail de la gestation, puisqu'elle appelle maladie mortelle le travail de la fécondation. Il n'y a pas à dire: si jusque-là tout est avortement, atrophie, efforts trompés, le r?le de la vie est fini au moment où la vie se complète. La nature est une cruelle insensée qui ne peut procéder que par un encha?nement de fausses expériences et de vaines tentatives. Elle développe à seule fin de déformer, de mutiler, d'anéantir; toutes
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