Nouvelles lettres dun voyageur | Page 6

George Sand
à vous, de placer dans votre universelle symphonie le ?mirliton de Saint-Cloud? à c?té de la ?lyre de Thèbes?. Vous avez le droit de mettre Pégase au vert. Ceux qui s'en fachent ne sont pas les vrais tristes; ce ne sont que des gens chagrins qui ne veulent pas que le po?te joue avec le feu sacré. Les tristes, famille d'amis en deuil, veulent bien qu'on essaie de tout pour prouver la vie quand même. Il s'agit de prouver, et là, dans l'expansion brillante comme dans l'austère rêverie, le po?te prouve du moment qu'il rayonne.
Quel rayonnement dans ces vers à la courte et vive allure, qui nous versent les senteurs du printemps et les puissantes folies de la nature en fête! Hélas! je regarde souvent par ma fenêtre les vestiges de ces jardins des Feuillantines où vous avez été élevé et où l'on a bati des maisons neuves. On a respecté de vieux murs couverts de lierre. Des arbres qui vous ont prêté leur ombre, quelques-uns sont encore debout, me dit-on. L'hiver les dépouille à cette heure, et je ne sais où se sont réfugiés les oiseaux. Rien ne chante plus dans ce coin qui abrita et charma votre enfance. Au dehors, dans les vallons mystérieux qu'on trouve encore non loin de Paris, la gelée a mordu les ramées. Il n'y a plus d'autres chansons des bois que le grésillement des feuilles tombées que le vent balaie. Dans les rues, il n'y a pas de chansons non plus. Ce beau quartier latin que je traverse chaque soir est devenu vaste, aéré, monumental. Ses groupes d'étudiants qui emplissaient jadis toute une rue dans un éclat de rire, sont comme perdus et inaper?us sur ces larges chaussées plantées d'arbres. Ils sont toujours jeunes, pourtant; le printemps ne se fait jamais vieux, et le renouveau de chaque génération est toujours un objet d'attendrissement et de sympathie pour les coeurs qui ont vécu et souffert. Mais qu'y a-t-il dans cette influence de la saison où nous sommes?
Je me le demandais l'autre jour en traversant le jardin du Luxembourg, au coucher du soleil. C'était une belle et douce soirée. Le ciel était tout rose et l'horizon en feu derrière les branchages noirs. Le grand bassin aussi était rouge et comme embrasé de tous ces reflets. Le cygne de la fontaine Médicis était ému et disait de temps en temps je ne sais quel mot triste et doux. Les enfants étaient gais, eux, franchement gais, en lan?ant sur l'eau des flottilles en miniature. La jeunesse se promenait sagement, presque gravement, et je m'inquiétais de cette gravité. Parlait-on de vous? sentait-on passer sur cette austérité du grand jardin, du grand palais, du grand ciel qui peu à peu se remplissait de brume violette, le vol du coursier que vous déliez et faites repartir si vigoureusement après l'avoir forcé de brouter la prairie de l'idylle en fleurs? Moi, je croyais l'entendre soulever des flots d'harmonie....
Mais un lugubre tonnerre s'éleva des tours de Saint-Sulpice, déjà effacées dans le brouillard du soir. Une furieuse clameur étouffa le rire des petits et gla?a peut-être le rêve des jeunes. Cette voix rauque de l'airain me jeta moi-même dans une stupeur profonde. N'est-ce pas la voix du siècle? Cloches et canons, voilà notre musique à nous; comment serions-nous musiciens, comment serions-nous artistes et po?tes, quand les coryphées de nos villes sont des prêtres ou des soldats, quand la bénédiction des cathédrales ressemble à un tocsin d'alarme, et quand les joies publiques s'expriment par les brutales explosions de la poudre? Du bruit, quelque chose qui, de la part de Dieu ou des hommes, ressemble à la menace d'un Dies irae. Pourquoi le brutal courroux des beffrois? Ce jour de fête religieuse annonce-t-il le jugement dernier? Avons-nous tous péché si horriblement qu'il nous faille entendre éclater la fanfare discordante des démons prêts à s'emparer de nous?--Mais non, ce n'est rien, ce sont les vêpres qui sonnent. C'est comme cela que l'on prie Dieu; ce tam-tam sinistre, c'est la manière de le bénir. O sauvages que nous sommes!
Vous voyez bien qu'il faut que vous chantiez toujours, par-dessus ces voix du bronze qui veulent nous rendre sourds, nous et nos enfants, et il faut que nous écoutions en nous-mêmes l'harmonie de vos vers qui nous rappelle celle des bois, des eaux, des brises, et tout ce qui célèbre et bénit dignement l'auteur du vrai. Ce sera là notre chanson des rues, celle qu'en dépit du morne hiver qui arrive et des mornes idées qui menacent, nous chanterons en nous-mêmes pour nous délivrer des paroles de mort qui planent sur nos toits éplorés.
Et je revenais seul au clair de la lune par le Panthéon silencieux. La brume avait tout envahi, mais la lune, per?ant ce voile argenté, enlevait de pales lumières sur le fronton et sur le d?me
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