le père. Si l'on ne veut pas que l'arbre
repousse, il faut arracher du sol jusqu'au dernier rejeton. D'une main
furieuse, le brigand saisit un des enfants qui pleuraient:--Où souffres-tu?
lui dit-il.--Là, répondit l'enfant en montrant son coeur; aussitôt le
scélérat lui enfonça un poignard dans le sein. Six fois il fit la même
question, six fois il reçut la même réponse, et six fois il jeta le cadavre
du fils sur le cadavre du père.
Et cependant Briam, l'oeil égaré, la bouche ouverte, sautait après les
mouches qui tournaient en l'air.
--Et toi, drôle, où souffres-tu? lui cria le bourreau.
Pour toute réponse, Briam lui tourna le dos, et, se frappant le derrière
avec les deux mains, il chanta:
C'est là que ma mère, un jour de colère, D'un pied courroucé m'a si fort
tancé, Que j'en suis tombé la face par terre, Blessé par devant, blessé
par derrière, Les reins tout meurtris et le nez cassé!
Le chef des gardes courut après l'insolent; mais ses compagnons
l'arrêtèrent.
--Fi! lui dirent-ils, on égorge le louveteau après le loup, mais on ne tue
pas un fou; quel mal peut-il faire?
Et Briam se sauva, en chantant et en dansant.
Le soir, le roi eut le plaisir de caresser Bukolla et ne trouva point qu'il
l'eût payée trop cher. Mais, dans la pauvre chaumière, une vieille
femme en pleurs demandait justice à Dieu. Le caprice d'un prince lui
avait enlevé en une heure son mari et ses six enfants. De tout ce qu'elle
avait aimé, de tout ce qui la faisait vivre, il ne lui restait plus qu'un
misérable idiot.
II
Bientôt, à vingt lieues à la ronde, on ne parla plus que de Briam et de
ses extravagances. Un jour il voulait mettre un clou à la roue du soleil,
le lendemain il jetait en l'air son bonnet pour en coiffer la lune.
Le roi, qui avait de l'ambition, voulut avoir un fou à sa cour, pour
ressembler de loin aux grands princes du continent. On fit venir Briam,
on lui mit un bel habit de toutes couleurs. Une jambe bleue, une jambe
rouge, une manche verte, une manche jaune, un plastron orange; c'est
dans ce costume de perroquet que Briam fut chargé d'amuser l'ennui
des courtisans. Caressé quelquefois et plus souvent battu, le pauvre
insensé souffrait tout sans se plaindre. Il passait des heures entières à
causer avec les oiseaux ou à suivre l'enterrement d'une fourmi. S'il
ouvrait la bouche, c'était pour dire quelque sottise: grand sujet de joie
pour ceux qui n'en souffraient pas.
Un jour qu'on allait servir le dîner, le chef des gardes entra dans la
cuisine du château. Briam, armé d'un couperet, hachait des fanes de
carottes en guise de persil. La vue de ce couteau fit peur au meurtrier;
le soupçon lui vint au coeur.
--Briam, dit-il, où est ta mère?
--Ma mère? répondit l'idiot; elle est là qui bout. Et du doigt il indiqua
un énorme pot-au-feu, où cuisait, en olla podrida, tout le dîner royal.
--Sotte bête! dit le chef des gardes en montrant la marmite, ouvre les
yeux: qu'est-ce que cela?
--C'est ma mère! c'est celle qui me nourrit! cria Briam. Et, jetant son
couperet, il sauta sur le fourneau, prit dans ses bras le pot-au-feu tout
noir de fumée, et se sauva dans les bois. On courut après lui; peine
perdue. Quand on l'attrapa, tout était brisé, renversé, gâté. Ce soir-là, le
roi dîna d'un morceau de pain; sa seule consolation fut de faire fouetter
Briam par les marmitons du château.
Briam, tout écloppé, rentra dans sa chaumière et conta à sa mère ce qui
lui était arrivé.
--Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait
parler.
--Que fallait-il dire, ma mère?
--Mon fils, il fallait dire: Voici la marmite que chaque jour emplit la
générosité du roi.
--Bien, ma mère, je le dirai demain.
Le lendemain, la cour était réunie. Le roi causait avec son majordome.
C'était un beau seigneur, fort expert en bonne chère, gros, gras et rieur.
Il avait une grosse tête chauve, un gros cou, un ventre si énorme qu'il
ne pouvait croiser les bras, et deux petites jambes qui soutenaient à
grand'peine ce vaste édifice.
Tandis que le majordome parlait au roi, Briam lui frappa hardiment sur
le ventre:
--Voici, dit-il, la marmite que tous les jours emplit la générosité du roi.
S'il fut battu, il n'est pas besoin de le dire; le roi était furieux, la cour
aussi; mais, le soir, dans tout le château, on se répétait à l'oreille que les
fous, sans le savoir, disent quelquefois de bonnes vérités.
Quand Briam, tout écloppé, rentra dans sa chaumière, il conta à sa mère
ce qui lui était arrivé.
--Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas
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