satisfaire certains avantages
personnels.
C'est comme précepteur que M. Lanusse a obtenu ses plus grands
succès. De 1852 à 1866, il a professé à l'Institution Bernard Couvent,
formant l'éducation d'une foule de jeunes gens qui, depuis, se sont
distingués, surtout dans les fonctions publiques, dans les lettres et dans
le commerce. La plupart de ces élèves provenaient de familles pauvres.
Peut-être, sans le secours de Lanusse, n'eussent-ils jamais eu l'occasion
de perfectionner leur intelligence. C'est que cet instituteur ne regardait
pas aux honoraires qu'il pouvait retirer; il donnait à ces enfants la même
attention qu'ils eussent reçue dans les maisons d'éducation les plus
prétentieuses, ici ou à l'étranger.
L'excellence du système d'enseignement qui lui était propre est
démontrée par la facilité avec laquelle ses élèves s'assimilaient ensuite
les diverses connaissances dont ils avaient besoin soit dans le
commerce, soit aux fonctions publiques.
Mais ce n'était pas seulement à la formation de bons disciples que se
bornait la tâche du professeur Larousse. Sachant que l'Institution qu'il
dirigeait était un legs donné par Mme Couvent, il consacrait toutes ses
énergies à en assurer le succès; il s'appliquait à faire respecter
scrupuleusement les volontés de la donatrice.
Les orphelins placés sous sa garde étaient surtout traités avec une
profonde sollicitude. Chaque année, il était d'usage d'ordonner une
célébration religieuse à la mémoire de Mme Bernard Couvent.
Nous pouvons nous rappeler avec quelle exactitude M. Lanusse
conduisait les petits orphelins à l'église, pour l'assistance à ces rites
solennels.
En étant lui-même présent, il voulait montrer tout le premier qu'à cette
insigne bienfaitrice nous devons reconnaissance et respect.
Les choses ne se passent plus aujourd'hui de cette manière. Depuis la
mort de M. Lanusse, l'idée du devoir telle que cet homme l'avait
comprise a complètement disparu.
Honnête et loyal jusqu'au fond de l'âme, Armand Lanusse ne comptait
pas sur les artifices de la ruse, ni sur les turpitudes de la supercherie;
poursuivant l'idéal de sa noble nature, il ne s'engageait dans l'action que
pour diriger ses forces vers le but marqué par la probité et l'honneur. Et
puis, il n'y avait rien d'exotique chez lui. Identifié avec la population
qu'il servait, son unique ambition était de l'honorer par ses principes et
de l'élever par ses oeuvres: le temps a prouvé qu'il a réussi dans
l'accomplissement de ce devoir.
Sa mort a été une catastrophe pour nous.
Il est disparu au moment où s'effectuait une transformation des
conditions civiles et politiques du pays.
S'il eut vécu, jamais peut-être les Créoles ne se fussent égarés; jamais
ils n'eussent eu recours à l'absurdité et à l'indignité dans l'espoir insensé
d'échapper à la persécution. Nombreux hélas! sont ceux qui ont troqué
leur dignité pour une tolérance simulée, au lieu de prendre
courageusement leur juste part des misères communes!
Ils ont préféré trahir l'honneur et le sang, au lieu de s'écrier avec
Périclès que "le bonheur se trouve dans la liberté, et la liberté dans le
courage". Mieux encore, en donnant un sens de résignation pacifique à
la pensée du Docteur Noir, ils eussent pu se dire au fond de la
conscience:
"Nous mourrons ensemble".
Ce serait là le conseil de Lanusse.
D'Alembert avait bien raison. Cet illustre écrivain pensait qu'il n'y a
rien de plus hideux que l'opprimé qui fuit sans résistance. Cette
résistance, ne veut pas dire: violence, corruption, carnage, confusion,
mais bien une saine détermination de ne pas accepter la tyrannie,
quoiqu'on soit obligé même de la subir. Il y a de l'honneur à souffrir
pour ses principes.
Tout le monde connaissait la fermeté du loyal Lanusse. Il était l'ennemi
du préjugé; il était capable de marcher, rue du Canal, appuyé sur le bras
de M. Louis Lainez, un compatriote dont le teint du visage ne laissait
aucun doute sur son origine. C'est que M. Lainez, lui aussi, était un
homme honorable.
Par contre, M. Lanusse ne perdrait pas aujourd'hui son temps dans la
société de certains noirs qui ont autant d'hypocrisie sur les lèvres qu'ils
ont de haine dans le coeur.
Certains Créoles, de nos jours, sont réduits à ce point de défaillance
morale qu'ils méconnaissent et repoussent leurs semblables, leurs
parents mêmes.
Ceux-là aussi, loin de songer à des moyens de délivrance, cèdent à leur
faiblesse, sans pouvoir déterminer des principes à suivre ou fixer une
résolution à prendre, comme s'ils voulaient habituer leur nature à la
soumission absolue ou à l'oubli de leur individualité. Ils vivent dans un
affaissement moral qui semble être le dernier degré de l'impuissance.
Dans cet état de détérioration, ils sont non seulement peu soucieux de
relever leur dignité abaissée, mais ils augmentent la somme de leurs
erreurs, comme pour multiplier le nombre de leurs supplices.
Cependant, il n'est pas difficile de comprendre que, quand l'erreur s'est
emparée des esprits, quand l'irrésolution a ramolli les coeurs,
l'espérance est bien près d'avoir perdu ses
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