lèvres, mais elle se sentit le courage de se dominer, prête à tous les pardons, à toutes les grandeurs.
--Aime-moi un peu?
--Je t'adore!
Cette fin de journée, ils la passèrent au Bois, dans la voiture du comte, et le soir, après un souper en tête-à-tête, Raymond voulut bien faire à Christine l'aum?ne d'un semblant d'amour.
Qu'ils la connaissaient mal ceux qui la soup?onnaient de trahir son amant, son idole!
--Veux-tu, chéri, que je quitte le théatre?
--A quoi bon!
--Je n'aime que toi...
--Et la gloire, ? Christine?
--La gloire, le bonheur, c'est toi, toi, rien que toi!
Elle l'entourait de ses beaux bras, le chauffait de toute l'ardente chaleur de sa jeunesse, et lui, l'esprit en déroute, rêvait de la grande dame.
--Laisse-moi...
--Raymond?
--Tu m'agaces!
--Mon bien-aimé?
--Tu m'embêtes! J'ai besoin de ma piq?re.
--La morphine te tue!
--Elle me fait vivre.
--Demain, Raymond...
--Non... Vite, ma Pravaz!
* * * * *
Au matin, de retour chez lui, le capitaine trouva un billet aimable du marquis de Montreu et un petit paquet renfermant une de ses Pravaz si gracieusement offerte au docteur Aubertot pour l'usage de la marquise Blanche.
Le billet disait:
?Mon vieux Pontaillac,
Grace à la morphine, ma chère femme a vu dispara?tre sa névralgie rebelle. Nous te proclamons le premier médecin de France, et te fêterons, si tu veux bien, lundi soir, sept heures.
Il y aura des perdreaux, des bécassines et un lièvre du Limousin, une chasse superbe de bon papa La Croze.
Ton ami,
OLIVIER.?
Raymond vint d?ner à l'h?tel du boulevard Malesherbes, et il n'osa point encore affirmer la passion qui le dévorait.
Les jours, les semaines s'égrenaient, pareils.
En février, en mars, en avril, la marquise de Montreu souffrit de ses crises névralgiques. On rappela le professeur Aubertot, mais celui-ci, malgré les prières de sa cliente, s'opposa à de nouvelles piq?res de morphine. Il signalait le danger, et à l'insu du docteur et du mari, Blanche acheta une Pravaz et se fit délivrer des ordonnances par un autre médecin.
Secrètement, elle recourait aux injections hypodermiques; elle en arriva à faire fabriquer des seringues d'argent, de vermeil et d'or, gravées de son chiffre et incrustées de pierres précieuses.
IV
--Monsieur le docteur Aubertot?
--Veuillez entrer là, madame, répondit à la visiteuse un domestique en habit noir et cravate blanche, droit et rigide, solennel.
Et il ouvrit à l'horizontale Luce Molday la porte d'un grand salon où quelques personnes étaient assises, les unes près de la table et feuilletant des livres et des albums, les autres, isolées en de vastes fauteuils, sous les ombres crépusculaires.
La consultation allait bient?t finir, mais le timbre du vestibule retentit encore, et parut un jeune homme, un habitué.
--Il est bien tard, monsieur Lagneau, observa le valet de chambre.
--Je tiens à passer, Baptiste.
Déjà, le monsieur avait glissé une pièce de deux francs au larbin; celui-ci le fit pénétrer dans un petit salon, et comme le docteur reconduisait une dame, le tour de Lagneau arriva tout de suite, malgré les longues heures d'attente des autres clients.
--Je vous salue, monsieur le professeur.
--Asseyez-vous, monsieur Lagneau.
Aux clartés des lampes, Aubertot examina son malade, lui tata le pouls, recommanda la continuation de la précédente ordonnance: bromure de potassium, bains électriques, et termina en ces termes:
--Pas de fatigue, pas d'émotion--et revenez dans huit jours.
Lagneau posa deux louis sur la table et sortit.
Des dames, des messieurs, tous affligés de maladies nerveuses, entrèrent et disparurent avec la même rapidité, lestés d'ordonnances presque pareilles.
Luce Molday, en robe de drap gris rat, manches de peluche, avec un gilet rayé de lacet blanc et or, toque en passementerie dorée, torsade de voile blanc et panache aigrette gris rat, les menottes gantées et chaudes dans un manchon à la dernière mode, un oiseau ailes déployées--Luce baissait les yeux. Elle se recueillait, domptée par le luxe sévère de la grande salle dont les huit fenêtres donnaient sur l'avenue de l'Opéra; elle imitait les attitudes graves des autres personnes et n'imaginait guère que Baptiste, en ce lieu de science, échangeait des faveurs contre des pièces de quarante sous.
On remuait des chaises à travers les salons voisins, et quelqu'un dit:
--Ce soir, il y a bal chez le docteur.
Restaient au salon Luce, deux messieurs et trois dames.
Baptiste les informa que la consultation était terminée et leur remit des numéros d'ordre pour la prochaine du grand médecin des névroses.
--C'est assommant! Je suis très malade, murmura l'horizontale qui sortait la dernière.
Elle tira de sa bourse en filigrane d'or une pièce de cinq francs.
--Est-ce qu'on pourrait passer avec ?a?
--Venez vite, madame, fit le valet, en empochant le métal.
Comme tous ses illustres confrères, le docteur Aubertot ignorait les bonnes aubaines du domestique, ou bien il fermait les yeux.
--Vous ne recevrez plus personne aujourd'hui, ordonna le médecin à Baptiste.
Et indiquant un siège à sa nouvelle et agréable cliente:
--Je vous écoute, madame.
--Figurez-vous, monsieur le docteur, que depuis un mois je prends de la morphine en injections.
--Et pourquoi prenez-vous de la morphine?
--D'abord, je me suis piquée, histoire de m'amuser, et ensuite...
--Parce que vous aviez besoin

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